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Roman collectif
Atelier animé par Nicolas

Écrivez une page de ce qui deviendra un roman collectif.

Les pages pourront se lire dans n'importe quel ordre tout en s'enchainant de façon cohérente.

Lorsque votre page commence, deux personnages désignés par « il » et « elle » sont en interaction, et « il » vient juste d'insulter « elle ». Vous racontez ce que l'un, l'autre ou les deux font ensuite. Puis à un moment l'attention du récit se reporte sur deux nouveaux personnages, l'un masculin et l'autre féminin. Votre page se termine lorsque le personnage masculin insulte le personnage féminin.

Alain

Elle se mit à pleurer, sans d'ailleurs savoir pourquoi, car d'habitude ces outrances la faisaient plutôt rire. Elle ressentit le besoin de compenser en hésitant entre un vieil Armagnac au bar d'un palace ruineux, un Mont-Blanc chez Angélina ou une toile au Gaumont devant lequel elle venait de passer. Elle opta d'autant plus pour cette dernière alternative que l'on donnait « Les deux font la paire », dont l'humour et le titre allaient à l'encontre de sa situation personnelle. C'est son couple qui était en train de se la faire, la paire.

La séance allait commencer et elle s'installa dans la queue conséquente qui était en place. Elle reconnut deux amis qu'elle avait perdus de vue, Stéphane Roux et Camille Combalusier, qui sortaient de la salle par l'ascenseur et elle les salua. Ces derniers lui rendirent son salut et s'éloignèrent, d'abord en souriant, ensuite en se chamaillant car il ne pouvaient se mettre d'accord pour mettre un nom sur le visage de la femme ou d'où l'un ou l'autre la connaissait. Le débat s'envenima à propos d'une comparaison hors de propos, jusqu'à ce que lui, voulant toujours avoir raison, jette rageur en sortant de vieux dossiers : « d'ailleurs tu n'as aucune mémoire, tu n'es pas physionomiste, tu n'as pas le sens de l'orientation et quand tu ne sais pas tu n'as qu'à te taire. »

François

Bim, bam ! La réaction ne se fit pas attendre. Un bel aller-retour, une cinglante paire de gifles, sans appel. Après un vol plané de trois mètres, il recracha quelques dents rougeâtres et se releva tant bien que mal. « Cette idiote a oublié de déconnecter la Force ! Je devrais y faire plus attention », ronchonna-t-il.

Elle était partie, légère, en zigzag, papillonnant en direction de la forêt. Il tenta de la suivre, mais elle allait bien trop vite pour lui. Il dut s'arrêter pour laisser passer un convoi de chameaux à palmes qui marchait sans se presser en échangeant les dernières nouvelles. Quand il put reprendre la route, il l'avait perdue de vue.

Il alla s'adosser contre un chêne dans l'espoir de piquer du sable et un roupillon. Un bruit sinistre le fit sursauter et il se réfugia d'un bond dans les branches. C'était une petite fille et un vieillard qui se promenaient.

« Dis-moi, Papie, est-ce qu'on pourra se marier ?

— Mais tu es trop petite, Myla.

— Alors quand je serai grande ?

— Mais je serai mort, sûrement, Myla.

— Alors comment on fera pour se parler ?

— Tu viendras voir ce chêne et tu lui parleras. Je t'écouterai, même si je ne pourrai pas te répondre.

— Je serai triste, Papie.

— Je serai avec toi, il ne faudra pas pleurer, Myla.

— Je crois que je pleurerai quand même.

— Tu es trop bête, mon adorée. »

Georges

Éberluée, assommée, elle ne disait rien. Machinalement, il mit l'autoradio en marche. Au feu rouge, il s'arrêta derrière une camionnette bleue : tout à coup, elle ouvrit la portière et s'enfuit. Il ne fit pas un geste pour la retenir. Fini, c'était fini. Une aventure sans importance. Aurait-il dû s'excuser ?

Quant à elle, elle se demanda où aller. Elle regarda le nom des rues : Jean Jaurès. Elle connaissait ce quartier. Elle se souvint après quelques instants de réflexion que Claudine habitait dans le coin depuis son mariage. Comment s'appelait son mari, déjà ? Un nom espagnol, Alfredo ou Alfonso. Allons voir si Claudine est chez elle.

Elle sonna à la porte. Claudine lui ouvrit : « Quelle surprise ! Qu'est-ce que tu fais là ? Entre donc ». Claudine lui présenta Francisco — décidément il s'appelait Francisco — et surtout leur petit Nicolas, un adorable bébé de 14 ou 15 mois. Justement c'était l'heure du repas. Claudine tenta de lui faire avaler un petit pot d'épinard. L'enfant crachait tout ce qu'on lui donnait. Le mari s'énervait de voir — devant une visiteuse — combien son enfant refusait la nourriture.

« Laisse-le moi, avec moi il va tout manger !

— Mais non, tu vas lui faire peur.

— Laisse-le moi, tu n'y connais rien, tu es une poule mouillée, tu n'es bonne à rien, je ne sais pas pourquoi je t'ai épousée ».

Il hurlait de plus en plus et devenait de plus en plus grossier.

Judith

Elle éclata en sanglots.

— C'est tellement injuste, tu me démolis avec tes accusations.

— Arrête de pleurer, on nous regarde. Tu devrais consulter pour ta parano.

Ils arrivèrent à destination et s'installèrent à la terrasse. Il se leva et partit aux toilettes. Elle pleurait encore.

Le couple américain qui se trouvait à la table à côté l'observa, se consulta et ensuite la dame se leva et s'approcha d'elle.

Elle s'arrêta net de pleurer. Elle ne s'était pas rendue compte qu'elle se donnait en spectacle.

— Ça va, on peut aider ?

— Non, merci, ça va, tout va bien.

— Nous sommes à Paris pour fêter notre anniversary de mariage, cinquante ans et nuances de mariage.

— Ah, félicitations, dit-elle, ne sachant pas quoi d'autre dire.

— Voulez-vous un verre de champagne ? Nous avons commandé toute une bouteille, c'est très bon, mais une bouteille à deux, c'est beaucoup.

— Harry, elle interpella son mari, a glass of champagne for our friend, here.

Harry s'exécuta, apporta le champagne, s'installa avec sa femme à la table et fit signe au serveur qui apporta un verre supplémentaire.

— Cheers Mam'zelle, dit-il.

— Merci beaucoup, dit-elle en trinquant avec ses nouveaux amis. Ah, c'est trop bon !

Elle commença à se sentir mieux, surtout après qu'ils lui eurent versé un deuxième verre.

— Vous venez d'où ?

— De Paris, dit la femme. En fait on répète nos rôles pour notre prochain spectacle, où il faut parler avec l'accent américain.

Sur ces entrefaites, lui revient des toilettes, l'air maussade. Il jette un coup d'œil aux « Américains », au champagne.

— Mais qu'est-ce que tu fais là ? Tu es enceinte et tu sais que tu ne dois pas boire de l'alcool.

— Ce n'est pas de l'alcool, Monsieur, c'est du champagne, dit la femme, du tac au tac. Elle le trouvait d'une grossièreté !

Son mari l'attrapa par le bras et l'apostropha :

— Joyce, tu es vraiment impossible ! Tu te mêles de ce qui ne te regarde pas. Excusez-la, Monsieur, elle ne sait pas se tenir quand elle a bu du champagne. Alors tais-toi, viens, on s'en va.

Maridjo

« Ouais, toujours pareil, toujours du silence, se dit-elle, et moi alors, comment je vis ? » et là-dessus elle le quitta pour aller déverser ses rancœurs dans l'oreille attentive de son amie.

Celle-ci l'écouta avec bienveillance comme à l'habitude. Son métier l'avait habituée en effet à ce genre de débordements. Elle faisait le ménage chez un couple qui se chamaillait et il ne lui déplaisait pas de voir qu'ailleurs que chez elle les êtres humains avaient du mal à se comprendre. Sauf que ce jour-là, elle ne resta pas seule longtemps, son fils était dans la chambre à côté et fit irruption, ce qui fit partir l'intruse illico. C'est lui qui avait besoin d'écoute, sa copine lui ayant fait faux bond le jour où il voulait lui faire connaître son meilleur ami. Il avait pris cette défection comme un refus d'entrer plus avant dans leur aventure.

Sa mère, qui n'appréciait guère la jeune fille et qui se réjouissait plutôt de cette promesse de rupture, eut du mal à entrer dans les doléances de son fils et se mit en devoir de lui montrer tous les aspects positifs de la situation. Le résultat fut le contraire exact de l'apaisement qu'elle escomptait. Rendu furieux le garçon se mit à l'insulter, lui reprochant de ne l'avoir jamais compris, allant même jusqu'à la traiter de « conne insensible, juste bonne à passer le balai ».

Nicolas

Elle parut légèrement surprise, ouvrit la bouche comme pour répliquer puis se ravisa. Haussant les épaules, elle se détourna de lui et s'en fut en fredonnant. Il la regarda s'éloigner d'un air stupide, ne sachant visiblement quelle attitude adopter. Enfin il se décida, haussa les épaules à son tour et partit d'un pas trainant dans la direction opposée.

Le mouvement régulier de ses jambes l'apaisa progressivement et son esprit commença à se libérer des émotions qu'il n'avait pas su contrôler. Petit à petit, l'incident lui semblait perdre de sa réalité. Plus il s'éloignait du lieu de l'altercation, plus son esprit retournait à ses préoccupations antérieures. Il se surprit à songer à ce roman qu'il rêvait d'écrire un jour et dont il avait depuis longtemps tracé les grandes lignes sans pourtant en avoir écrit le premier mot.

Ce serait l'histoire d'une jeune fille pauvre mais honnête, obligée de travailler très jeune pour subvenir à ses besoins. Un drame réaliste à la Zola, ou plutôt à la Maupassant. Avec des accents de roman populaire à la Féval. Il imaginait parfaitement la grande scène épique qui marquait le tournant de l'intrigue.

Devant ses yeux il vit se matérialiser la maison de maître où la jeune fille avait trouvé un emploi de servante. Elle prit place au milieu de la cuisine, un torchon à la main. Le maître, un gros bourgeois, médecin ou notaire, rentra à l'improviste et elle accourut dans le vestibule pour l'accueillir. L'homme, en état d'ébriété manifeste, lui lança un regard lubrique et la saisit au poignet. La servante, ne devinant que trop ses intentions obscènes, tenta de se dégager mais il la retenait d'une poigne de fer. Elle hurla : « Lâchez-moi ! Vous n'avez pas le droit ! » mais il la secoua de plus belle en grondant : « Petite trainée ! Tu n'es qu'une gueuse ! Crois-tu que je ne sache pas ce que tu fais de tes nuits ? »

Thierry

— Comment ? Tu oses me parler sur ce ton ? Alors que tu me dois tout ce que tu es aujourd'hui ! Ta position sociale, tes hautes fonctions, ta fortune...

— Ma fortune, n'exagère pas ! Je l'ai accumulée peut-être par des moyens... disons, contestables ; mais où la haute protection de ton mari n'a joué qu'un rôle tout à fait marginal. Quant au reste, sache que ta prétention à m'avoir fabriqué de toutes pièces, je la récuse absolument.

Devant une manifestation de rébellion aussi inhabituelle, elle partit d'un grand éclat de rire.

Or, cette scène se déroulait dans la cathédrale de la petite ville épiscopale où ce couple problématique mais, comme on l'a vu, en charge de hautes fonctions représentatives, assistait à la cérémonie du mariage religieux de la filleule aimée de Madame.

Celle-ci, interpellée par les éclats de voix émanant du rang où se trouvait sa chère marraine, se retourna brusquement à l'instant même où son jeune mari s'efforçait de lui passer à l'annulaire de sa main gauche, l'anneau destiné à marquer aux yeux du monde, l'indéfectibilité de leur union devant Dieu et devant les hommes.

Croyant à une remise en cause de leur projet matrimonial, ce dernier laissa, au grand scandale de l'assistance, éclater une violente colère, dont la pauvre jeune fille, éperdue, ne put supporter la brutalité...