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Retour vers Le cothurne étroit

Pirouésie 2018

Lundi matin – 1

Gueule noire
À quoi, à qui pensais-tu ?
Micheline
Il fallait l'oublier, ne plus penser qu'à ta voie
Déraillement
Tous ces corps qui ne revivront plus
Poêle


Lundi matin – 2

Un pot-pourri à Pirou-Pont pour s'approprier la prairie.

Un pot-pourri à Pirou-Pont que préparent quelques pirouètes paressant parmi les prêles.

Un pot-pourri à Pirou-Pont peut-il produire des prouesses poétiques ?

Un pot-pourri à Pirou-Pont, par sa présence impromptue dans le paysage, interpelle le promeneur.

Un pot-pourri à Pirou-Pont se prépare a priori ou s'improvise par surprise.

Un pot-pourri à Pirou-Pont emprunte la piste de la plage.


Lundi après-midi

La mode est changeante,
Violette se sent
soudain vieillissante
quand passe le temps.

Regarde en sa malle
d'un air attendri,
songeuse elle emballe
son chapeau fleuri.

Jette un œil morose
sur le bibi gris
qu'aujourd'hui impose
l'Écho de Paris.

Faut-il se soumettre
à cette injonction ?
L'être ou le paraître ?
La fuite ou l'action ?

Aller à la ville
par trop démodée
pour n'être pas vile,
c'est se suicider.

Céder à la mode
sans se révulser,
c'est bien trop commode
à s'autoriser.

Violette conserve
l'objet préféré
afin qu'il lui serve
de jardin secret.

Portons pour les autres
les bibis du jour,
et gardons pour nôtres
ceux de notre amour.


Mardi après-midi – 1

Le vent venu du large frôle mon visage en une brève épiphanie, s'enfonce dans le bosquet et disparaît dans l'abreuvoir.
Le fond de la salopette délicatement posé sur le sable blond, les pieds fermement enfoncés dans la dune y laissent des empreintes de girafe jusqu'à la mer.
Dans le ciel bleu pâle, les nuages floconneux ruminent le soleil en leur ventre fécond.


Mardi après-midi – 2

Le viol qu'on a lu
quand au bistrot on se mire
coiffe-t-il le temps ?


Mercredi matin – 1

Il y a toute sorte de jaunes.

Le jaune serin, dont aucune nuance ne vient troubler la sérénité.

Le jaune d'or devant qui tout observe un respectueux silence pour ne pas le réveiller.

Le jaune soleil que le ciel reflète en bleu, la lune en blanc, la mer en glauque, la peau en bronze, les tournesols en fleurs.

Les jaunes agissants, rugissants, rougissants, gémissants, réjouissants, rajeunissants.

Le jaune citron, peur de tremper, prompt à tronquer, apprêt à thé.

Le jaune blanchi regrettant sa jaunesse enfuie.


Mercredi matin – 2

Rien n'est plus chaud qu'un trou jusqu'au centre de la terre,
  qu'un début d'août dans le bocage normand,
  qu'un bon manteau d'avant la guerre,
  qu'un ami qui vous aime tendrement.
En fait, rien n'est plus chaud qu'un trou normand avec un bon ami.

Rien n'est plus froid que la bise qui vous pique les yeux,
  que le zéro absolu donné par la théorie,
  que l'accueil de la chargée du contentieux,
  que les rives de l'Amour dans l'hiver de Sibérie.
En fait, rien n'est plus froid qu'une bise donnée sans être chargée d'amour.


Mercredi après-midi

La nuit de novembre était d'un noir d'encre. L'orage qui depuis le crépuscule déversait ses torrents d'eau et de feu semblait déterminé à engloutir la ville de Toulon comme une moderne Gomorrhe. Terrés dans leurs demeures bien closes, les habitants n'osaient aller se coucher, craignant à leur réveil de ne plus rien retrouver de leur environnement familier.

Au milieu des éléments déchaînés, une mince silhouette semblait la seule âme vivante. Quelle force surnaturelle pouvait bien pousser Madame Rosello, car telle était le nom de la misérable créature, à braver de la sorte la fureur de l'ouragan ? À n'en point douter, ce ne pouvait être que l'amour maternel, celui-là même qui mue en tigresse la chatte dont le chaton est menacé, en lionne la vache défendant son veau, en soldat indomptable la mère séparée de son enfant. Or, ce n'était pas un, mais bien quatre enfants en bas-âge que Madame Rosello tentait de rejoindre malgré les formidables obstacles que le destin avait placés sur sa route.

Comme si les forces de l'atmosphère n'eussent pas suffi à entraver sa progression, la malignité des hommes vint se joindre à ses tourmenteurs, prenant la forme d'une voie de chemin de fer interposée en travers de sa route. La malheureuse n'hésita pas un instant en songeant aux fruits de sa chair qui l'attendaient au bout du chemin. Ralentissant à peine le pas, elle entreprit de franchir l'obstacle sans le moindre égard pour le péril immense qu'elle encourait.

À peine se fut-elle engagée sur la première des deux voies qu'il lui faudrait traverser, qu'un grondement sourd sembla émerger du continuel fracas du tonnerre. D'abord à peine perceptible, en quelques instants il acquit des proportions monstrueuses, emplissant les frêles oreilles de Madame Rosello d'une menace sans ambiguïté. La sagesse eût commandé que la malheureuse reculât pour regagner, l'espace d'un instant, la sûreté du bord de la voie, mais allez dire à une mère d'être sage ! Sans détourner un instant l'esprit de son but, elle se jeta en avant, bondissant comme une biche aux abois tandis que le colosse de fer poursuivait sa course inexorable.

Dans un dernier effort désespéré elle réussit à s'échapper de la voie au moment précis où le convoi parvenait à sa hauteur. Épuisée d'efforts et d'angoisse, elle s'affala sur la deuxième voie pendant que défilaient derrière elle les lourds wagons de marchandises lancés à une allure fulgurante.

Tandis qu'elle demeurait prostrée, ivre d'orage et de vacarme, les passagers arrivant en sens inverse ne se doutaient guère du rôle fatal que le destin de Madame Rosello avait assigné à leur train.


Jeudi après-midi – 1

Bonjour madame la poinçonneuse.
— J'ai du bobard aujourd'hui, est-ce que ça vous émoustille ?
— Très volapuk. Mettez-m'en cinq cents clous.
— J'ai une belle carnation sur le bobard : trois milliards de ploucs les mille clous.
— Ça, c'est une conifère ! Alors, mettez-m'en un calbute.
— D'accord, je vous les baise. Autre prose ? J'ai des carpettes toutes fraiches.
— Des gloses ou des frises ?
— Des frises.
— Alors, non, ça sera mou pour aujourd'hui.
— Voiture.
— Merlu bien.
— Bobonne tournée. À tatot.


Jeudi après-midi – 2


Jeudi après-midi – 3

Mes chers amis sinistres, assis ministres, à demi lustrés, administrés, c'est à mes dévotions, émulsions, à vos chélations, avec émotion ma queue je dresse, cage, que je m'adresse à vos plats cendrés, vos bras sanglés, vos dents sablées, transes envolées, votre assemblée généreuse, gênée râleuse, générale, en ce port si rouge, ce nain partant, ce sourd si importun, ce jour si important tourne pouces, tous porno, pour nous tous.


Vendredi après-midi – 1

Poète : personne passant par Pirou pour produire plusieurs petits pamphlets, parfois plaisants, parfois pénibles.

Girouette : grande gidouille giratoire.

Nostalgie : notre nation natale, notre nourrice négligée, notre nirvana nuptial, nous narguent.


Vendredi après-midi – 2

Elle avait si peur du noir que ses yeux s'entrechoquaient.

Le temps était si froid que la pendule s'était arrêtée.


Vendredi après-midi – 3


Vendredi après-midi – 4


Vendredi après-midi – 5

Rira bien qui rira le dernier.

Frira bien qui frira le beignet.

Triera bien qui triera le courrier.

Criera bien qui criera au grenier.

Priera bien qui priera le dernier.


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Nicolas Graner, août 2018, Licence Art Libre