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Assurance-vie : attention à ne pas déshériter vos héritiers !

Publié le 05/10/2022
Assurance vie
TeraVector/AdobeStock

L’assurance-vie permet de transmettre un capital hors succession. Toutefois, si le montant des primes était « manifestement exagéré » au moment de leur versement, au regard de l’âge ainsi que de la situation patrimoniale et familiale du souscripteur, les héritiers de celui-ci peuvent contester le contrat d’assurance-vie et le réintégrer dans la succession.

40,5 % des ménages possède au moins un contrat d’assurance-vie et leur détention progresse de manière continue (« Composition du patrimoine des ménages évolue peu à la suite de la crise sanitaire », Insee, Première n° 1899, mai 2022). Deuxième placement préféré auprès le livret A, c’est dire s’il occupe une place privilégiée dans les patrimoines des Français, qui apprécient l’outil d’investissement et de transmission, mais qui peuvent méconnaître quelques précautions, notamment au regard de leurs héritiers.

L’assurance-vie : une transmission non comprise dans la succession

Lorsque le bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie reçoit un capital ou des rentes d’un contrat, cette transmission s’effectue hors succession. Ce principe est inscrit sous l’article L. 132-13 du Code des assurances : « Le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant ».

Sur le plan civil, ces montants ne sont pas comptabilisés dans l’actif successoral partagé entre les héritiers du défunt. Ils « échappent à la succession », et ne reviennent donc pas nécessairement aux héritiers. Ce mécanisme permet ainsi d’assurer une transmission à des personnes non-héritières, comme le conjoint, le concubin, le partenaire de Pacs ou toute autre personne sans lien de parenté et qui n’a pas vocation à hériter. Le souscripteur est libre de désigner le ou les bénéficiaires de son choix, parmi ses héritiers ou non.

Les héritiers réservataires ne sont pas concernés

Au contraire de l’assurance-vie, la succession revient, au moins en partie, aux héritiers, réservataires et/ou désignés par testament. Selon l’article 912 du Code civil, les enfants (et dans certains cas le conjoint survivant, et en leur absence les parents) sont protégés par réserve héréditaire, une part du patrimoine du parent leur étant réservée. En présence d’un enfant, celui a droit à la moitié du patrimoine. En présence de deux enfants, chaque enfant a droit à un tiers du patrimoine du parent défunt. À partir de trois enfants ou plus, la réserve héréditaire correspond aux trois quarts du patrimoine. La partie qui ne leur est pas réservée s’appelle la quotité disponible. Le défunt peut en disposer librement : l’attribuer à un ou tous ces héritiers, ou en prévoir sa transmission par testament à un tiers, une fondation, son conjoint, etc. Cette quotité disponible est déterminée en fonction de la réserve héréditaire, elle-même déterminée en fonction du nombre d’héritiers réservataires.

La fiscalité de l’assurance-vie en cas de décès

Sur le plan fiscal, cette règle conduit à ce que le bénéficiaire (ou les bénéficiaires) ne paie donc pas de droit de succession. Cela ne signifie pas pour autant que l’assurance-vie ne soit soumise à aucune fiscalité. Au contraire, elle connaît une fiscalité spécifique, plus favorable que les droits de succession pour les personnes non parents (mis à part pour les époux et les partenaires de Pacs qui sont exonérés de droits de succession).

La fiscalité de l’assurance-vie en cas de décès dépend de l’âge du souscripteur au moment du versement des primes.

Pour les primes versées avant les 70 ans du souscripteur, le capital et les intérêts capitalisés font l’objet d’un prélèvement spécifique de 20 % sur la part recueillie par le bénéficiaire qui est supérieure à 152 500 euros. Cet abattement s’apprécie par bénéficiaire, pour l’ensemble des contrats souscrits sur la tête d’un même assuré. Il est effectué directement par l’établissement financier. Comme pour les droits de succession, le conjoint survivant et le partenaire lié au défunt par un Pacs sont exonérés de ce prélèvement de 20 %. Le prélèvement de 20 % n’est pas dû lorsqu’à la date de souscription du contrat, le souscripteur a son domicile fiscal hors de France.

Pour les primes versées après les 70 ans du souscripteur, les sommes sont imposables aux droits de succession à raison des contrats souscrits après le 20 novembre 1991 et à partir de 30 500 euros. Pour apprécier ce seuil de 30 500 euros, l’ensemble des contrats souscrits sur la tête d’un même assuré doivent être pris en compte.

Une exception pour protéger les héritiers

Ce principe comporte une exception de taille, prévue à l’article L. 132-13 du Code des assurances lui-même : « Ces règles ne s’appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n’aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés ».

En effet, il n’est pas question que l’assurance-vie conduise à déshériter les héritiers. La loi les protège. Ainsi, si l’utilisation du contrat d’assurance-vie aboutit à vider la succession de sa substance et à léser les héritiers réservataires, l’assurance-vie devient rapportable à la succession. Autrement dit, sa valeur est réintégrée fictivement dans le patrimoine du défunt et elle est considérée comme ayant fait l’objet d’une donation.

Tel est le cas en présence de primes manifestement exagérées. Pour savoir si les primes versées sur le contrat d’assurance-vie sont manifestement exagérées, il faut se placer au moment de leur versement, au regard de l’âge ainsi que des situations patrimoniale et familiale du souscripteur et de l’utilité du contrat pour ce dernier. La justice vient d’avoir l’occasion de rappeler ce principe, qui s’apprécie au cas par cas.

Dans une affaire récente (Cass. 2e civ., 16 juin 2022, n° 20-20544), Madame A, veuve, est décédée le 25 novembre 2010, laissant pour lui succéder ses deux filles, Madame B et Madame C. Madame A avait souscrit un contrat d’assurance sur la vie désignant comme bénéficiaires Madame C et ses deux enfants.

Madame B a assigné sa sœur devant un tribunal de grande instance aux fins, notamment, de rapport à la succession des primes versées au titre de cette assurance. Les liquidités détenues par la défunte lors de la souscription de ce contrat d’assurance-vie s’élevaient à environ 150 000 euros, cette somme correspondant à l’état des comptes de la défunte au 1er janvier 2015 ; elle était également propriétaire de sa maison et de parcelles de terrain.

La cour d’appel de Douai a rejeté la demande de rapport des primes d’assurances (CA Douai, 18 juin 2020, ch. 1, sect. 1). La cour a relevé que leur montant avait été versé à l’ouverture du contrat d’assurance sur la vie le 11 mars 2006 au moyen de quatre chèques pour la somme totale de 30 500 euros. L’arrêt énonce que le caractère manifestement excessif des primes versées doit également s’apprécier au regard de la situation patrimoniale du souscripteur, qu’il n’est pas contesté que les liquidités détenues par la défunte lors de la souscription de ce contrat d’assurance s’élevaient à environ 150 000 euros, qu’elle était propriétaire de sa maison et de parcelles de terrain et qu’au vu de ces éléments, il n’apparaît pas que les primes versées sur le contrat d’assurance étaient manifestement exagérées par rapport aux revenus et au patrimoine du souscripteur à la date de la souscription du contrat.

La Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel au motif que la cour n’a pas « recherché également si, au regard de l’âge, de la situation familiale de la souscriptrice et de l’utilité du contrat pour celle-ci, les primes par elle versées présentaient un caractère manifestement exagéré eu égard à ses facultés ».

Les critères d’appréciation

Le premier critère pris en compte pour mesurer le caractère excessif des primes est le niveau de revenus et/ou le patrimoine du défunt. Les primes ne doivent pas être disproportionnées par rapport aux revenus pendant la période de versement. En cas de prime unique, le montant de celle-ci sera comparé aux revenus annuels.

Sur l’« utilité du contrat », les juges examinent par exemple l’âge du défunt au moment de la souscription du contrat. Ainsi la souscription à un âge avancé a des chances d’être perçue comme ne revêtant aucune utilité compte tenu de l’espérance de vie du souscripteur.

Et après ? L’action des héritiers

Les héritiers qui se pensent lésés peuvent agir sur le fondement de l’article 920 du Code civil : « Les libéralités, directes ou indirectes, qui portent atteinte à la réserve d’un ou plusieurs héritiers, sont réductibles à la quotité disponible lors de l’ouverture de la succession ». Leur action va donc consister à faire requalifier le contrat d’assurance-vie en donation et à faire valoir leurs droits en tant qu’héritiers réservataires. L’action va porter sur la totalité des fonds du contrat d’assurance-vie dans la succession, et non pas une partie seulement. Cette action peut être mise en œuvre par les enfants quand le contrat a été souscrit au bénéfice d’un tiers à la famille. Elle peut l’être par un seul des héritiers quand le contrat profite exclusivement à un autre héritier. Les sommes qui sont ainsi réintégrées sont partagées entre les héritiers. Elles sont soumises aux droits de succession dans les conditions de droit commun.

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