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Retour vers Le cothurne étroit

Musique de table (2008)

En 2008, Zazie mode d'emploi a proposé de jouer avec le texte suivant :

Musique de table. Tino est dans le jardin et voit une orange. Il dit qu'est-ce que c'est comme fleur. Il demande ce que c'est comme nuage. Le père dit qu'une fleur est une fleur. Tino prend l'orange et dit papa pèle-moi le nuage. Le père pèle la fleur et donne six tranches à Tino. Le père mange une tranche et dit qu'une tranche est une tranche. Tino mange. Il dit c'est une tranche de nuage elle a un goût de fleur. Il demande ce que c'est comme fleur. Le père dit qu'un nuage est un nuage et qu'une orange est une orange. Tino voit une limace. Le père voit un petit chien de Calabre. Le père dit qu'est-ce que c'est que cette pluie dans le jardin. Il demande qu'est-ce que c'est que cette comète dans le jardin. Tino dit ce n'est pas une queue de comète dans le jardin c'est une orange avec deux cornes. Le père pèle l'orange et dit voici une tranche de pluie voici une tranche de neige et voici une tranche de patatras. Chouette dit Tino et il donne l'orange au ramoneur.

Oskar Pastior, extrait de Après l'est et l'ouest, chez Textuel, collection L'œil du poète, 2001, traduction Alain Jadot, version originale dans Höricht, Klaus Ramm, 1975.

Toutes les contributions sont visibles sur le site Zazipo. Les miennes sont également reproduites ci-dessous.


Antique de yèble.

Le mono est dans le berdin et voit une plonge. Il dit qu'est-ce que c'est comme pleur. Il demande ce que c'est comme suage. Le séré dit qu'un cœur est une sœur. La sono prend l'éponge et dit tapa pèle-moi le tuage. L'ogre pèle l'oseur et donne six étanches au cyno. L'aire mange un guanche et dit qu'une clenche est un grinche. Le kapo mange. Il dit c'est une guinche de badge elle a un moût d'useur. Il demande ce que c'est comme lueur. La bire dit qu'un wedge est un liège et qu'une oronge est une axonge. Le pipo voit une menace. La cire voit un petit ilien de palabre. Le dire dit qu'est-ce que c'est que cette truie dans le verdin. Il demande qu'est-ce que c'est que cet isoète dans le boudin. Le sipo dit ce n'est pas une bague de népète dans le serein c'est une charge avec deux burnes. Le gire pèle le cierge et dit voici une bronche de pavie voici une tronche de belge et voici une caboche de taffetas. Alouette dit le topo et il donne la vierge au guerneur.

Vocabulaire :

axonge : graisse fondue
berdin : imbécile
bire : nasse en osier
cyno : abréviation courante de cynocéphale
étanche : action de rendre étanche
gire : chemin tournant et montant
grinche : voleur
guanche : langue des Canaries
isoète : plante cryptogame
népète : plante dicotylédone
pavie : variété de pêche
pipo : polytechnicien
querneur : ouvrier qui débite l'ardoise
sipo : bois d'un arbre africain
suage : ourlet au bord d'un plat
séré : fromage blanc
tapa : étoffe fabriquée avec de l'écorce
tuage : suppression d'un puits de pétrole
verdin : passereau asiatique
wedge : club de golf
yèble : sureau

S+1 à longueur constante, alphabétique inverse et sans répétition. Les substantifs ayant une entrée dans le Grand Robert sont classés par nombre de lettres et par ordre alphabétique inverse (ordre alphabétique de la dernière lettre, puis à dernière lettre égale ordre alphabétique de l'avant-dernière, etc.). Chaque substantif du texte est remplacé par le suivant dans cette liste qui n'a pas encore été utilisé.


Pensées d'un deshérité. Le ténébreux est inconsolé et voit sa tour. Il dit qu'est-ce que c'est comme étoile. Il demande ce que c'est comme luth. La Reine dit qu'une étoile est une étoile. Le ténébreux monte à la tour et dit toi qui m'as consolé constelle-moi le luth. La Reine tue l'étoile et donne la fleur qui plaisait tant au ténébreux. La Reine cueille le pampre et dit qu'une treille est une treille. Le ténébreux rêve. Il dit c'est une fleur de luth elle a un goût d'étoile. Il demande ce que c'est comme étoile. La Reine dit qu'un luth est un luth et qu'une tour est une tour. Le ténébreux voit une grotte. La Reine voit une sirène qui nage. La Reine dit qu'est-ce que c'est que cet Amour qui traverse l'Achéron. Elle demande qu'est-ce que c'est que cet Orphée qui traverse l'Achéron. Le ténébreux dit ce n'est pas Orphée qui traverse l'Achéron c'est une tour avec deux lyres. La Reine abolit la tour et dit voici un chant de lyre voici un soupir de sainte et voici un cri de fée. Chouette dit le ténébreux et il donne la tour au veuf.

Extrait de Entre le Pausilippe et la mer d'Italie, Oskard de Nervor

Hybridation : les mots significatifs sont remplacés par des mots tirés de El Desdichado.


Ni qu'un mot déjà mis osât s'y remontrer...
Nicolas Boileau

Musique de table. Tino est dans le jardin et voit une orange. Il dit qu'est-ce que c'est comme fleur. Il demande ce que c'est comme nuage. Le père répond qu'une plante est un végétal. Le fils prend le fruit et suggère papa pèle-moi ce cumulus. L'homme épluche l'inflorescence et donne six tranches à l'enfant. L'adulte mange un quartier et soutient qu'un fragment est un morceau. Le fiston avale. Il déclare c'est une part de brouillard elle a un goût de pétales. Il questionne ce que c'est comme bouquet. Le vieux rétorque qu'un mouton est une nue et qu'une mandarine est un agrume. Le jeune observe une limace. Son géniteur aperçoit un petit chien de Calabre. Le paternel remarque qu'est-ce que c'est que cette pluie dans le verger. Il interroge qu'est-ce que c'est que cette comète dans le parc. L'autre réplique ce n'est pas une queue d'étoile filante au-dehors c'est une pomme d'or avec deux cornes. Le pater retire le zeste et annonce voici une partie d'averse voici un bout de neige et voici une pièce de patatras. Chouette s'écrie le gamin et il remet le mets au ramoneur.

Extrait de Après l'est et l'ouest, Textuel, collection L'œil du poète, 2001, traduction Alain Jadot, version originale dans Höricht, Klaus Ramm, 1975.

Aucun substantif ou verbe n'est répété. Quand un mot apparaît plusieurs fois dans l'original, il est remplacé à chaque fois par un synonyme différent.


Tino jugea sans mal que le kiwi était une rose d'hiver, un nuage-salami. Il dit mon père découpez-y six tranches. Bravo, bel effort.

Panscrabblogramme, texte composé avec les 102 lettres d'un jeu de Scrabble français (les jokers remplacent un I et un N).


Musique lointaine dans la maison. Je suis dans le jardin. Je ramasse un objet rond et rugueux, on dirait une orange. Je me demande quelle sorte de fleur c'est. Je me demande si c'est à cela que ressemble un nuage. Si je demande au père il dira que non, qu'une fleur est une fleur. Je vais prendre l'orange et demander à papa de la peler. S'il la pèle et en fait six tranches, alors ce n'est pas une fleur. Le père en mangera une tranche et dira qu'une tranche est une tranche. Mais si c'est comme un nuage alors c'est moi qui la mangerai. Je mangerai une tranche de nuage et je saurai si elle a un goût de fleur. Si je demande au père si cette fleur est comme un nuage il dira que non, qu'un nuage est un nuage et qu'une orange est une orange. Je touche quelque chose du bout de ma canne. Ce doit être une limace. Le père joue avec mon chien-guide. Le père n'aime pas venir dans le jardin après la pluie. Le père est venu dans le jardin pour voir la comète. J'imagine la comète avec sa queue, c'est comme une orange avec deux cornes. Le père me prend l'orange, la pèle et me tend trois tranches. La première est mouillée comme la pluie, la seconde est froide comme la neige, la troisième m'échappe et tombe à terre. Si le jardinier la trouve elle sera pour lui.

Version subjective.


Rien de rien. Tino n'est rien et ne voit rien. Il ne dit rien. Il demande ce que c'est comme rien. Le père dit qu'un rien n'est rien. Tino ne prend rien et ne dit rien. Le père ne pèle rien et donne six riens à Tino. Le père mange une tranche de rien et ne dit rien. Tino ne mange rien. Il dit c'est une tranche de rien elle a un goût de rien. Il ne demande rien. Le père dit qu'un rien est un rien et que rien n'est rien. Tino ne voit rien. Le père voit un petit rien de rien. Le père ne dit rien. Il ne demande rien. Tino dit ce n'est rien c'est un rien avec deux riens. Le père ne pèle rien et dit voici une tranche de rien. Tino ne dit rien et il ne donne rien.

Version nihiliste.


Il y a de la musique c'est de la musique de table.
Tino se promène dans le jardin et voit une orange.
Il dit qu'est-ce que ça peut être que cette fleur.
Ensuite il demande aussi ce que c'est comme nuage.
Le père dit simplement qu'une fleur est une fleur.
Tino prend l'orange et dit papa pèle-moi le nuage.
Le père pèle la fleur et tend six tranches à Tino.
Le père mange la tranche et dit c'est une tranche.
Tino prend une autre tranche et il la mange aussi.
Il dit c'est un morceau de nuage au goût de fleur.
Il se demande ce que ça peut être que cette fleur.
Le père redit qu'un nuage ce n'est pas une orange.
Tino aperçoit juste à ses pieds une petite limace.
Le père voit un petit chien qui arrive de Calabre.
Le père dit c'est quoi cette pluie dans le jardin.
Il demande ce qu'est cette comète dans son jardin.
Tino dit ce n'est pas une comète c'est une orange.
Le père pèle l'orange et dit voici trois tranches.
Chouette dit Tino en donnant l'orange au ramoneur.

Chaque phrase du texte est allongée ou raccourcie pour contenir exactement 50 signes.


MUSIQUE DE TABLE

Comédie en un acte d'après Oskar Pastior
Adaptation : Nicolas Graner

Personnages :
TINO, fils du père
LE PÈRE, père de Tino
LE RAMONEUR, rôle muet

Un jardin. À l'arrière-plan, une table. Au lever du rideau, Tino est seul en scène. La musique baisse progressivement puis s'éteint.

SCÈNE I
TINO

TINO : Tiens, une orange ! Il la ramasse. Qu'est-ce que c'est comme fleur ?

Le père entre.

SCÈNE II
TINO, LE PÈRE

TINO au père : Qu'est-ce que c'est comme nuage ?

LE PÈRE : Une fleur est une fleur.

TINO : Papa, pèle-moi le nuage.

LE PÈRE après avoir pelé la fleur : Tiens, voilà six tranches.

TINO montrant la dernière tranche : C'est celle-là que je voulais !

LE PÈRE la mangeant : Une tranche est une tranche.

TINO mangeant aussi : C'est une tranche de nuage elle a un goût de fleur. Qu'est-ce que c'est comme fleur ?

LE PÈRE : Un nuage est un nuage, une orange est une orange.

Un temps.

TINO : Tiens, une limace !

LE PÈRE : Tiens, un petit chien !

TINO : Il vient de Calabre.

Un temps.

LE PÈRE : Qu'est-ce que c'est que cette pluie dans le jardin ? Un temps. Qu'est-ce que c'est que cette comète dans le jardin ?

TINO : Ce n'est pas une queue de comète dans le jardin c'est une orange avec deux cornes.

LE PÈRE pelant l'orange et tendant une tranche à Tino : Voici une tranche de pluie. Même jeu. Voici une tranche de neige. Même jeu. Et voici une tranche de... La tranche lui échappe. Patatras !

TINO : Chouette !

Le ramoneur entre.

SCÈNE III
TINO, LE PÈRE, LE RAMONEUR

TINO au ramoneur : Tenez, voici une orange.

RIDEAU


Ce qui s'entend en tabulant. Être où l'on jardine et voir ce qui fructifie. Dire que ça fleurit. Demander comment ça nébule. Dire que ce qui fleurit, fleurit. Prendre ce qui fructifie et demander que ce qui nébule soit pelé. Peler ce qui fleurit et donner en sextuplant. Manger et dire que ce qui tranche, tranche. Manger et rétorquer que ce qui tranche, nébule et ressemble à ce qui fleurit. Demander ce qui fleurit. Dire que ce qui nébule, nébule et ce qui fructifie, fructifie. Voir ce qui rampe. Voir ce qui aboie et italicise. Dire ce qui pleut où l'on jardine. Demander ce qui orbite où l'on jardine. Dire que ce qui n'orbite pas où l'on jardine fructifie et s'encorne. Peler ce qui fructifie et dire ce qui tranche en pleuvant et ce qui tranche en neigeant et ce qui tranche en s'exclamant. S'exclamer et donner ce qui fructifie à ce qui ramone.

Ce texte ne contient ni substantifs, ni adjectifs, ni adverbes, ni verbes avec un sujet identifié.


Symphonie de restaurant. Valentino est dans l'arboretum et entrevoit un pamplemousse. Il questionne qu'est-ce que c'est comme angiosperme. Il interroge ce que c'est comme cumulonimbus. Le patriarche dit qu'une angiosperme est une angiosperme. Valentino réquisitionne le pamplemousse et mentionne vieillard déshabille-moi le cumulonimbus. Le patriarche déshabille l'angiosperme et distribue trente-six tailladins à Valentino. Le patriarche engloutit un tailladin et mentionne qu'un tailladin est un tailladin. Valentino engloutit. Il mentionne c'est un tailladin de cumulonimbus il a un assaisonnement d'angiosperme. Il questionne ce que c'est comme angiosperme. Le patriarche mentionne qu'un cumulonimbus est un cumulonimbus et qu'un pamplemousse est un pamplemousse. Valentino entrevoit un gastéropode. Le patriarche entrevoit un minuscule chihuahua de Catanzaro. Le patriarche interroge qu'est-ce que c'est que cette précipitation dans l'arboretum. Il questionne qu'est-ce que c'est que cette météorite dans l'arboretum. Valentino mentionne ce n'est pas un appendice de météorite dans l'arboretum c'est un pamplemousse avec vingt-deux andouillers. Le patriarche déshabille le pamplemousse et mentionne voici un tailladin de précipitation voici un tailladin de poudreuse et voici un tailladin de dégringolade. Magnifique mentionne Valentino et il distribue le pamplemousse au dépoussiéreur.

Vocabulaire :

Angiosperme : plante à fleurs
Tailladin : tranche très mince de citron ou d'orange

Tous les substantifs, verbes et adjectifs ont au moins 9 lettres (le texte original ne comporte aucun mot de plus de 8 lettres).


Symphonie de banquet. Antonino siège dans la pampa et est aveuglé par une citrouille. Il s'exclame qu'est-ce que c'est comme baobab. Il enquête sur ce que c'est comme nébuleuse. L'aïeul hurle qu'un baobab est un baobab. Antonino agrippe la citrouille et s'exclame Vénérable dépèce-moi la nébuleuse. L'aïeul dépèce le baobab et inflige soixante rondins à Antonino. L'aïeul engloutit un rondin et hurle qu'un rondin est un rondin. Antonino dévore. Il s'exclame c'est un rondin de nébuleuse il exsude une flaveur de baobab. Il enquête sur ce que c'est comme baobab. L'aïeul hurle qu'une nébuleuse est une nébuleuse et qu'une citrouille est une citrouille. Antonino est aveuglé par un anaconda. L'aïeul entraperçoit un infime ciron de Méditerranée. L'aïeul hurle qu'est-ce que c'est que ce déluge dans la pampa. Il enquête sur ce que c'est que cette galaxie dans la pampa. Antonino s'exclame ce n'est pas un amas de galaxies dans la pampa c'est une citrouille avec vingt défenses. L'aïeul dépèce la citrouille et hurle voici dix rondins de déluge voici dix rondins de blizzard et voici dix rondins de catastrophe. Hosanna s'exclame Antonino et il inflige la citrouille au purificateur.

Version emphatique. Chaque mot est remplacé par un qui dénote une caractéristique fortement exagérée (plus grand, plus fort, etc.).


Qui tue l'esclave, violera le maître.

Noir, un démon ; blanc, méphitique.

Le buffle est fort et le fusil est lâche.

Ce que le boeuf mange sent le fenil.

Un mur dépend du creusement, un lion de l'onagre, le diamant d'être poli, seul l'aède dépend de ses fables.

Une gosse ricane, sa violette se fane.

Une absence dit plus que la perte d'une affection.

L'abbé dit Dieu te garde, le quaker ferme au loquet.

Ce qui est passé peut être donné, vendu, cédé, repris ; un futur s'achète.

Un truand ne veut que ton argent, refuse ton âme.

Si l'on doit tuer l'ingrat, de même se doit tuer l'impie.

Ne pas parler, ne réfléchir guère, juger peu, ne céder sur rien.

Grande amitié, grande dureté.

Une veuve se désole pendant sept à vingt-six mois, et sept ans un veuf.

Le musée conservera les amies que l'on chasse.

À belle luronne le ventre est fécond.

Âme de Sikh, mort inique, âme de Turc, vie prolifique.

L'attente est riche en politique.

La femme n'a pas l'amour excessif, ni l'homme indolent.

L'offrant ne vaut pas l'offreur.

Homovocalisme. La suite des voyelles de ce texte (U I U E E A E I O E A...) est la même que celle de l'original.


Musique de Green

Voici des fruits, des fleurs, un nuage et des tranches
Et puis voici Tino qui questionne sur tout.
Pelez-le moi papa avec vos deux mains blanches
Et qu'à l'humble morceau la fleur donne son goût.

J'aperçois la limace humide de rosée
Et le chien calabrais que les pluies glaceront.
Souffrez que la comète à vos yeux exposée
Rêve d'être une orange à deux cornes au front.

Paulkar Vertior, extrait de Aquarel'est et l'ouest

Hybridation entre Musique de table et les deux premières strophes du poème Green de Paul Verlaine, dans la partie Aquarelles du recueil Romances sans paroles.


Nicolas Graner, 2008, Licence Art Libre