Si ce n'est pas encore fait, lisez « À Guilly d'Herbemont » avant de lire la suite de cette page.
Un néo-sonnet en hommage à la femme qui inventa la canne blanche des aveugles.
Ce poème est un hommage à Guilly d'Herbemont qui, en 1930, eut l'idée de munir les aveugles d'une canne blanche afin de leur faciliter la traversée des rues de Paris, déjà fort encombrées à cette époque. Par sa générosité et sa ténacité elle sut faire aboutir ce projet. De nos jours, la canne blanche est à la fois un symbole reconnu dans le monde entier et un outil remarquable de perception de l'environnement.
La forme du poème a été inspirée par une invention d'Alphonse Allais, le « vers néo-alexandrin » : alors que les vers alexandrins ont tous douze pieds, les néo-alexandrins n'ont douze pieds qu'en moyenne (voir la section Références).
J'ai défini de façon analogue le « néo-sonnet » comme un poème respectant la forme du sonnet, à ceci près qu'aucun de ses vers ne possède douze pieds, mais chaque quatrain totalise quarante-huit pieds (quatre fois douze) et chaque tercet trente-six (trois fois douze).
Dans À Guilly d'Herbemont, je me suis imposé des contraintes supplémentaires par rapport à cette définition minimale :
Pour illustrer ces contraintes, voici le poème reproduit en faisant précéder chaque vers de son nombre de pieds :
5. Guilly d'Herbemont,
18. Contre la peur, contre le danger auxquels nos yeux
fermés nous condamnent
10. Tu nous as donné un appui : la canne,
15. La baguette du sorcier qui tient en respect nos
démons.
11. Je ne l'oublie pas, Guilly, c'est grâce
à toi
14. Que, ma canne ouvrant la voie comme une
fidèle amie,
6. J'avance dans la vie
17. Sans craindre les obstacles qui s'effacent un
à un devant moi.
13. Les arbres, les rochers, ne barrent plus mon chemin
7. Et la foule des humains
16. S'ouvre à la vue de mon bâton comme la mer fit pour
Moïse.
19. Des murs plus durs s'effritent aussi : ceux de
l'incompréhension et ses sœurs
8. L'indifférence et la bêtise.
9. Guilly, tu as su ouvrir les cœurs.
Le vers néo-alexandrin, dont j'ai l'honneur d'être l'auteur, se distingue de l'ancien en ce que, au lieu d'être à la fin, la rime se trouve au commencement (c'est bien son tour).
Ce nouveau vers doit se composer d'une moyenne de douze pieds ; je dis d'une moyenne parce qu'il n'est pas nécessaire que chaque vers ait personnellement douze pieds.
L'important est qu'à la fin du poème, le lecteur trouve son compte exact de pieds, sans quoi l'auteur s'exposerait à des réclamations, des criailleries parfaitement légitimes, nous en convenons, mais fort pénibles.
Voici un léger spécimen de ces vers néo-alexandrins :
11. Cher ami gardéniste, amateur de bonne
12. Chère, on t'appelle à l'appareil téléphonique
7. Allô ! qu'y a-t-il ? – Voici
12. À l'Hôtel Terminus (le fameux Terminus !)
6. Nous nous réunirons
14. (Nounous, le présent avis n'est pas pour votre fiole)
14. Samedi... (non lundi) 20 mars à 7 heures précises
17. Ça me dit, cette proposition, et à toi aussi j'espère
13. Lundi 20 mars donc... (non samedi, mais non lundi)
16. L'un dit une chose, l'autre une autre, voilà comme on se trompe
9. On se les calera bien, fois d'Alf
8. Onse Allais ! après quoi suivront
14. Concert varié, danses lascives, bref le programme
20. Qu'on sert d'habitude dans nos cordiales et charmantes petites soirées
13. Amène ta bonne amie, ça nous fera plaisir
6. Amen ! Alphonse Allais
Total : 192. Or 192/16 = 12, C.Q.F.D.
Note : il s'agit d'une invitation à la soirée du cercle dramatique « le Gardénia » du lundi 20 mars 1899. [N.G.]
Nicolas Graner, 1998, Licence Art Libre