Avatars de Nerval

Je n'ai plus que les Desdichados

Je suis le ténébreux, — le veuf, — l'inconsolé,
Décharné, dénervé, démusclé, dépulpé,
Modulant tour à tour un œil triste et mouillé.
Quel ami, me voyant, à la rose s'allie ?

Je n'ai plus que les os, et mon luth constellé
Sans pardon a frappé sur la lyre d'Orphée.
Je n'ose voir mes bras, mon front est rouge encor,
Mon œil est étoupé de la Mélancolie.

Suis-je Amour ou Phébus ? Deux grands maîtres ensemble ?
Me consolant au lit, j'ai rêvé dans la grotte
À mon cœur désolé et, me baisant la face,
Que le trait de la mort porte le soleil noir.

Toi qui m'as consolé du baiser de la reine
En essuyant mes yeux, rends-moi le Pausilippe,
Les soupirs de la sainte, et la treille où le pampre
Ne remporte au logis la fleur qui plaisait tant.

Ma seule étoile est morte : adieu, plaisant Soleil
Et la mer d'Italie où nage la sirène !
Que de peur je ne tremble ! Et j'ai deux fois, vainqueur,
En ce point dépouillé traversé l'Achéron.

Adieu, mes chers amis : Lusignan ou Biron,
Le prince d'Aquitaine, Apollon et son fils...
Adieu, chers compagnons par la mort endormis.
Leur métier m'a trompé : un squelette je semble.

Dans la nuit du tombeau mon corps s'en va descendre
Et les cris de la fée ne me sauraient guérir.
Je m'en vais le premier à la tour abolie
Vous préparer la place où tout se désassemble.