Interpolation
Je suis le ténébreux, le veuf, l'inconsolé
Et qui n'a pas de nom au terrestre séjour,
Le prince d'Aquitaine à la tour abolie ;
Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières ?
Ma seule étoile est morte, et mon luth constellé
Où l'étoile du soir se lève dans l'azur
Porte le soleil noir de la Mélancolie.
Qu'importe le soleil ? je n'attends rien des jours.
Dans la nuit du tombeau, toi qui m'as consolé,
Mes yeux verraient partout le vide et les déserts.
Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie :
Là, je retrouverais et l'espoir et l'amour.
La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé
Quand la feuille des bois tombe dans la prairie,
Et la treille où le pampre à la rose s'allie ?
Vains objets dont pour moi le charme est envolé !
Suis-je Amour ou Phébus ? Lusignan ou Biron ?
Je ne demande rien à l'immense univers.
Mon front est rouge encor du baiser de la reine
Et je dis : « Nulle part le bonheur ne m'attend ».
J'ai rêvé dans la grotte où nage la sirène
— Là, le lac immobile étend ses eaux dormantes —
Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron :
Sur la terre d'exil pourquoi resté-je encore ?
Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée
— Mais peut-être au-delà des bornes de sa sphère —
Les soupirs de la sainte et les cris de la fée,
Un son religieux se répand dans les airs.
Gérard-Alphonse de Nervatine
Les vers de El Desdichado, dans l'ordre, alternent avec des vers tirés de L'Isolement d'Alphonse de Lamartine (poème des Méditations poétiques contenant le célèbre vers : « un seul être vous manque, et tout est dépeuplé ! »).
Nicolas Graner, 2000, Licence Art Libre