Incompréhension
« Je suis le ténébreux, le veuf, l'inconsolé,
— ... ?
— Je vous dis que je suis...
— Ah, bon... Et puis ?
— Le prince d'Aquitaine à la tour abolie.
— C'est quoi, ça ?
— Pfff... ! Je vous dis que ma seule étoile est morte.
— Ah... dommage...
— Et mon luth constellé...
— Votre quoi ?
— J'ai dit mon luth constellé, enfin quoi merde !
— Ah... J'avais cru que vous parliez d'un lynx consterné.
— ...porte le soleil noir de la Mélancolie.
— Vous êtes dépressif ?
— Dans la nuit du tombeau... C'est pas de la dépression, ça ?
— Ouais, bon... p't'êt... j'sais pas.
— Toi qui m'as consolé, rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie.
— Mais j'vous ai rien pris, moi, enfin !
— La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé...
— Ben, il vous en faut pas beaucoup pour soigner votre dépression !
— Et la treille où le pampre à la rose s'allie.
— Une rose salie ? Salie par quoi ?
— Oh nom de Dieu ! Suis-je amour ou Phébus, Lusignan ou Biron ?
— Z'avez pas de papiers d'identité ?
— Mon front est rouge encor du baiser de la reine ;
— J'vois rien. Quelle marque de rouge à lèvres elle emploie, votre reine ?
— (Hurlant) J'ai rêvé dans la grotte où nage la sirène !!!
— Là vous gueulez comme une sirène. Qu'est-ce qui vous prend ?
— Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron :
— La Quéron ? Vous voulez dire « là, qu'est rond » ? Le rond-point des Champs-Élysées ?
— Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée...
— Vous êtes musicien ? Pas étonnant que vous soyez neurasthénique.
— Les soupirs de la sainte et les cris de la fée.
— Ça crie, les fées ? J'savais pas ça.
— Allez Médor, on s'en va ! » (Il secoue la laisse et le homard se met en marche.)
© Francis Assaf – 2019