Intransitif par mots
Je suis le prince inconsolé
Au deuil qui se démultiplie :
Du noir, mon luth auréolé
Porte toute la panoplie.
Bienfaiteur qui fus immolé,
Guéris-moi de cette épulie
Et de ce cœur déboussolé
Sombrant dans la coprophilie.
Suis-je fort comme un percheron ?
Mon rêve est qu'Éros réapprenne
À fuir la colle néoprène...
Vidant le Styx au cuilleron,
Je chante une ronde truffée
De soupirs et de cris d'Orphée.
On considère qu'un mot en « domine » un autre si, en prenant au hasard une lettre dans le premier mot et une lettre dans le deuxième, le plus souvent la première lettre est située après la deuxième dans l'alphabet.
Dans ce sonnet, le mot-rime de chaque vers domine le mot-rime du vers suivant. De plus, le mot-rime du dernier vers domine le mot-rime du premier vers. Contrairement à ce qu'on pourrait attendre, la domination n'est pas « transitive » mais peut donner lieu à des cycles.
Il y a de nombreux autres cycles de domination dans ce sonnet. Par exemple, dans la première strophe, inconsolé domine démultiplie, démultiplie domine auréolé, auréolé domine panoplie et panoplie domine inconsolé. Tous ces cycles sont illustrés par un schéma sur le site de l'auteur.
Je suis le ténébreux, — le veuf, — l'inconsolé,
Le dévasté deux fois par la Mélancolie.
Rends-moi le Pausilippe et mon luth constellé,
Sainte aux nocturnes cris dans ma tour abolie.
À présent modulant maint soupir désolé,
Jadis battait mon cœur pour la mer d'Italie,
Le soleil et la fleur qui m'avaient enjôlé —
L'aster que Lusignan sur la treille rallie.
Suis-je Amour ou Biron ?... Un Prince ou le Phénix ?
Lorsque m'a consolé le retour de la reine,
J'ai chanté comme Orphée un hymne de sirène.
Ce rêve me plaisait : j'ai traversé le Styx
Depuis mon Aquitaine en gagnant le trophée,
Et le front rouge encor du baiser de la fée.
Comme le précédent, ce sonnet fait apparaître un cycle de domination entre des mots. Cette fois il porte sur le titre et les mots situés à la césure des vers, chacun étant dominé par le suivant : Déshérité est dominé par ténébreux, ténébreux par fois, fois par Pausilippe... jusqu'à Aquitaine dominé par encor et encor par Déshérité. Ici aussi, les cycles sont illustrés sur le site de l'auteur.
© Gilles Esposito-Farèse – 2024