Préface
Camille,
Vous m'avez aimablement demandé une préface pour votre recueil d'« avatars » nervaliens, et par faiblesse je n'ai pas osé vous répondre non. Or, vous tombez bien mal.
J'attends l'électricien qui doit rétablir le courant dans l'immeuble depuis une semaine, et la perte d'un être cher dans un accident lors du passage du Tour à Mont-de-Marsan m'a plongé dans un état proche du gâtisme. Depuis la mort de ma bien-aimée Stella, je suis dégoûté de la moindre musique et dans ma chambre tendue de noir j'ai mis au mur cette gravure de Dürer qui me rappelle les chères ombres de mon caveau de famille.
Notre entrevue à la brasserie Lipp m'a cependant été d'un grand réconfort, et je ne suis pas prêt d'oublier ces pâtes italiennes aux fruits de mer arrosées d'un « jus de la treille », comme disait mon grand-père, ce petit beaujolais qui cette année fleure légèrement la rose.
Mais, voilà, suis-je bien celui que vous attendez ? Pataphysicien, dites-vous, Oulipien, Pastichien... Et puis quoi encore ? Amour ou Phœbus, pendant que vous y êtes ! Si seulement j'étais le dernier Lusignan, j'aurais pu vous conter que j'avais vu en songe Mélusine nager dans une grotte de la Vonne ! Ou duc de Lauzun, que Marie-Antoinette m'avait mordu au front dans l'élan de la passion ?...
Au lieu de cela, depuis notre rencontre, je n'ai eu que la chance de faire, comme Orphée, un aller et retour aux enfers. Et quand je suis sorti du service de réa, je me suis juré de ne plus tenir compte de vos soupirs ou de vos cris d'orfraie.
Vous n'aurez donc ni préface, ni avertissement. Croyez-moi, vos « avatars » peuvent fort bien s'en passer et vos lecteurs s'en apercevront assez vite.
Je vous prie d'agréer, Camille, l'expression de ma considération.
François Caradec
Préface du livre Je suis le ténébreux de Camille Abaclar, qui en constitue le 102e avatar.
© François Caradec – 2002