Mon cher confrère,
Vous m'avez confié un texte anonyme rédigé par un postulant (N***) à un emploi dans votre groupe d'aide à personnes en difficulté. Je vous fais part de mes conclusions :
N*** possède d'évidence un ego marqué traduit par l'abondance de l'utilisation de la première personne du singulier (j'ai, je suis, mon, ma) avec des qualificatifs valorisants (ténébreux sous-entendu beau, vainqueur, prince, Phœbus, Biron).
Cette libido du moi (libido narcissique) ne devient accessible à l'analyse que lorsqu'elle s'empare d'objets sexuels c'est-à-dire quand elle devient libido d'objet. Elle se concentre alors sur des objets, les abandonne, s'y fixe à nouveau, puis les quitte pour se tourner vers de nouveaux objets. C'est bien le stade atteint par N*** comme le montre un vocabulaire passant de l'imaginaire onirique à des manifestations concrètes mais inspiré par une sexualité omniprésente.
On y trouve explicitement l'organe féminin : fleur, rose, étoile et plus subliminal inCONsolé, CONsolé, CONstellé ; l'organe masculin est traduit par des termes « durs », proéminents ou en érection : Tour, Pausilippe, Pampre, Phœbus. N*** est proche également sans le savoir du stade anal avec des lapsus révélateurs (grotte et crotte, luth et flûte ou cul, cour et queue) ou des indications peut-être involontaires mais présentes : DÉ (solé), (aché) RON (d), (bi) RON (d). Les instruments de musique font également partie du vocabulaire populaire de la sexualité et de l'amour.
Tout est propice à N*** pour satisfaire au sein de circonstances favorables les désirs qu'il cache ; l'obscurité est présente : ténèbres, nuit, tombeau, noir, grotte.
L'acte (baiser, amour) est explicite mais il ne faut pas négliger la petite mort présente inconsciemment dans morte. Même mélancolie (mêlant qu'au lit) n'est pas là par hasard. Mais « le rouge au front », allégorie s'il en est, N*** en est honteux. Manifestement c'est un émotif non actif qui préfère rêver.
Il est la proie de phantasmes classiques : Amours singulières inaccessibles, reines, saintes (donc souvent vierges) et fée (aux puissants élixirs), personnages mi-thiques, mi-femmes (sirène).
Le dernier vers dont la teneur se passe de commentaires révèle la jouissance dans la seule observation du plaisir ou des regrets, mais aussi de faire souffrir l'être aimé avec les ambivalences habituelles à l'humanisme dévot (S'il faut mourir, mourrons d'amour ou Vous me tuez si doucement, ou encore Venez et je sois infâme).
Me référant donc, entre autres, à Freud (Trois essais sur la théorie de la sexualité, NRF, 1962), Bettelheim et Soriano, je ne peux que déconseiller pour N***, qui me semble très fragile, le poste que vous proposez. Peut-être pourriez-vous le prendre comme sexologue dans un magazine spécialisé, sans contact direct avec le public.
Votre dévoué,
Dr AZ
© Alain Zalmanski – 2000