Réapparition
Je suis le petit « e », juste un « 9 » inversé.
Qu'on s'est donné de peine pour me trouver ici !
Il suffit que j'existe, un public consterné
Sort d'un sommeil de loir pour sonner l'hallali.
En page 119, toi qui m'as débusqué
(Grâces t'en soient rendues, ô Sébastien Bailly !),
Booz qui dormait tant a été réveillé
Et rien n'est plus pareil : le typo a failli...
Suis-je humour ou rébus ? un signe ou un filon ?
Mon front est rouge encor d'un feutre qui me gêne.
Hier j'étais lettre morte, aujourd'hui les sirènes
Ont dit vingt fois par heure ma réapparition,
S'offusquant tour à tour à me lire tout frais
Et soupirant ravies : Cet écrit, qui l'a fait ?
Le 14 octobre 2003, Sébastien Bailly
révélait aux membres ébahis de la
liste
Oulipo qu'il avait découvert un E dans
La Disparition, le célèbre roman de
Georges Perec connu pour être écrit sans
cette lettre. Il s'avéra en effet que certains
exemplaires de l'édition d'avril 2003 de ce livre chez Gallimard
comportaient une erreur, page
119, au quatrième vers du poème Booz assoupi
(réécriture sans E du Booz endormi de Victor Hugo). Ce
vers était devenu :
Booz
dorme non loin du grain qu'on
amassait.
au lieu de « Booz dormait... » dans les autres
éditions. Cette coquille inexplicable — on en découvrit par la
suite une douzaine d'autres, dont plusieurs E, dans la même édition
— causa quelques remous dans le Landerneau des amateurs de
Perec.
© Patrick Flandrin – 2003