Aller au menu
Aller au pied de page
Retour vers Impressions

Avoir des enfants

Date: Samedi 4 Janvier 1997
De: Nicolas Graner
À: Groupe de discussion sur les dégénérescences rétiniennes
Objet: avoir des enfants

AVERTISSEMENT : ce texte n'exprime que mes opinions personnelles. Certains aspects pourraient faire penser qu'il s'agit de conseil génétique : je précise que je n'ai aucune compétence dans ce domaine. Ce serait une erreur grave que de faire confiance à quoi que ce soit de ce qui suit sans consulter une personne qualifiée.

Les rétinos doivent-ils avoir des enfants ? Que voilà un beau sujet de dissertation philosophique... Je ne vais pas manquer une telle occasion de bavarder encore.

D'abord, si j'ai bonne mémoire, on estime que chacun d'entre nous est porteur d'une douzaine de maladies génétiques récessives sans le savoir, et que chaque bébé a a priori 2 ou 3% de chances d'avoir une maladie génétique grave. Donc si on ne veut pas transmettre de maladies à ses enfants, mieux vaut ne pas en avoir du tout. Heureusement pour l'espèce humaine que nos ancêtres ne savaient pas ça. Comme on dit, « la vie est une maladie génétique, sexuellement transmissible, et toujours mortelle ». :-)

Tout dépend donc du type d'hérédité. Si on est sûr d'avoir une RP récessive, il n'y a pas de raison de s'abstenir, la probabilité d'avoir un enfant atteint n'est pas plus grande que pour toutes les autres maladies qu'on porte sans le savoir. Sauf qu'on a intérêt à éviter les mariages consanguins (il paraît que la RP est plus fréquente dans une région du sud de l'Inde où les oncles épousent souvent leurs nièces). Quant à l'argument qu'on ne veut pas transmettre un gène qui pourrait ressortir dans les générations futures, cf. ci-dessus, si on veut éradiquer toutes les maladies génétiques de cette façon on éradiquera l'humanité.

Si on a une forme dominante, donc 1 chance sur 2 de la transmettre à chaque enfant, c'est plus délicat. En fait ça dépend surtout de la façon dont on vit sa propre RP : si on considère que c'est une calamité qui empêche de vivre heureux, on choisira de ne pas avoir d'enfant, si on est bien dans sa peau on hésitera moins. Ce qui est intéressant, c'est que souvent dans les familles dominantes où on a de nombreux exemples de parents et de cousins qui ont bien vécu toute leur vie avec une RP, on a moins tendance à dramatiser, et donc on fait des enfants en acceptant ce risque qui n'est pas vécu comme rédhibitoire (je ne dis pas que c'est le cas dans toutes les familles dominantes !). Donc souvent ceux qui ont le plus de risques de transmettre la maladie l'acceptent, et ceux qui affirment qu'un rétino ne devrait pas procréer sont ceux qui ne risquent presque rien...

Pour les formes de RP liées au sexe (c'est apparemment mon cas), c'est encore autre chose : je savais que mes enfants ne risquaient pas d'être atteints, mais en principe ma fille est porteuse et donc ses fils risquent d'être atteints. Il y a un côté désagréable à se dire : je peux avoir des enfants peinard, mais je refile le problème à ma fille, c'est elle qui risque d'avoir à élever un bigleux, ou à décider de ne pas en avoir. Ce n'est pas le genre de cadeau qu'on aime faire à ses enfants. En fait j'ai raisonné comme pour les dominants, je me suis dit que la RP n'était de loin pas ce qui pouvait arriver de plus grave à un enfant, et que même si les miens étaient directement menacés j'aurais choisi d'en avoir, donc j'ai (dans l'ensemble) la conscience tranquille. Et puis, d'ici que ma fille ait à se poser la question (elle a 4 ans), la situation aura changé, il y aura du nouveau du côté des traitements, des aides techniques, du dépistage prénatal, donc ce sera à elle de juger en fonction de ces éléments.

Restent les cas isolés, les plus courants (la moitié des RP environ). La plupart sont probablement des formes récessives, donc sans risque significatif de transmission. Mais il peut aussi s'agir de mutations dominantes. On peut toujours faire un examen d'ADN pour le cas où on aurait l'une des quelques formes de RP pour lesquelles le gène est connu, dans ce cas on sait à quoi s'en tenir. Si on est un homme, on peut aussi faire passer un ERG à sa mère pour détecter une éventuelle forme liée à l'X. Mais dans les autres cas on doit décider de sa descendance sans connaître les probabilités exactes de transmission de la RP. Remarquez que même dans les cas où l'on « sait » il ne s'agit toujours que de probabilités, donc de toute façon on joue tous à la loterie.

Et puis même si on s'est bien préparé à toutes les possibilités concernant la RP, il faut bien garder dans un coin de sa tête, comme tout futur parent, qu'on peut tomber sur une mucoviscidose, une myopathie, ou une des 5000 autres maladies génétiques. Sans parler de toutes les affections congénitales et autres accidents de grossesse, de la mort subite du nourrisson, j'en passe et de pires. Je ne dis surtout pas ça pour décourager les géniteurs potentiels (si vous m'aviez vu me rouler sur le tapis avec mon fils de 18 mois tout à l'heure, je vous aurais garanti que rien ne vaut un petit bout de chou pour s'éclater vraiment !). Ce que je veux dire, c'est que toute personne qui conçoit un enfant sait qu'elle court un risque qu'il ait des problèmes, et le fait d'avoir une RP ne change pas fondamentalement la question.

Je pense aussi à deux autres facteurs qui peuvent influer sur la décision des parents RP, outre le risque de transmission :

Bon, je crois que j'en ai assez dit sur ce sujet qui, vous l'avez peut-être deviné, me touche particulièrement. J'espère que d'autres, parents ou non, s'exprimeront aussi là-dessus. Choisir d'avoir des enfants est peut-être la décision la plus importante qu'un être humain ait à prendre, et tous les éléments de réflexion sont les bienvenus.


Nicolas Graner, 1997, Licence Art Libre