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Les (personnes) handicapées

Date: Mercredi 12 février 2014
De: Nicolas Graner
À: Groupe de discussion sur les dégénérescences rétiniennes
Objet: vocabulaire

Bonjour Maudy,

tu écris : « il me semble que nous devons parler des Personnes handicapées et non des handicapées, nous ne sommes ni des objets, ni un participe passé. »

Je suis très mal à l'aise avec cette remarque, même si beaucoup de gens semblent d'accord avec toi. Quand je dis "je suis français", je ne veux pas dire que je considère que je suis uniquement français, que c'est la seule propriété qui me caractérise. Je dis simplement que, à l'instant où je parle et pour le sujet qui m'occupe, c'est cette caractéristique-là qui m'intéresse. Ça n'a rien de réducteur pour ma personne en général, et je n'éprouve aucun besoin de dire "je suis une personne française" pour conserver ma dignité de personne. C'est exactement pareil quand je parle d'un handicapé.

Pourquoi pourrait-on dire "les chômeurs bénéficient d'une allocation", "les moins de 16 ans doivent être scolarisés" ou "les étrangers n'ont pas le droit de vote" et pas "les handicapés bénéficient d'avantages fiscaux" ? Est-il nécessaire de dire "les personnes en situation de chômage", "les personnes âgées de moins de 16 ans" ou "les personnes de nationalité étrangère", de peur d'oublier qu'il s'agit de personnes ? Je ne le crois pas.

Le mot "handicapé" existe comme participe passé, comme adjectif et comme substantif, comme beaucoup d'autres mots français. Il ne désigne pas un individu dans son ensemble mais une facette particulière d'un individu, et si c'est de cette facette-là qu'on veut parler à un moment donné il est parfaitement légitime d'utiliser ce mot.

D'ailleurs, tu recommandes de dire "personne handicapée" mais pour certains ce n'est encore pas suffisant, et ils exigent "personne en situation de handicap". Un jour d'autres demanderont peut-être "personne qui n'est pas placée dans une situation d'égalité des chances" ou je ne sais quoi. Quand on cherche à modifier les attitudes en modifiant les mots, on est pris dans une course sans fin parce que les nouveaux mots deviennent rapidement aussi négatifs que l'étaient les anciens. C'est comme ça que "vieillard" a été remplacé par "vieux", puis "personne âgée", puis "troisième âge", puis "senior", et maintenant "âge d'or"... et je ne crois pas que ça ait tellement amélioré l'image des vieillards dans la société. Ne jouons pas au même jeu avec le handicap ! Si nous voulons changer les attitudes, agissons sur les attitudes (comme tu le fais d'ailleurs avec ton association), pas sur les mots.

C'était ma minute de coup de gueule, je descends de ma caisse à savon comme disent les anglophones (pardon, les "personnes anglophones").


Nicolas Graner, 2014, Licence Art Libre