Bestiaire 1
Je suis la ténébreuse, une veuve isolée,
Princesse souterraine à la vue abolie,
Mon ouïe est quasi morte, et mon nez constellé*
Fouit sous le soleil noir de la mélancolie.
Dans la nuit du terreau, toi qui m'as strangulée,
Rends-moi ma taupinière et ses cent galeries,
Le ver qui plaisait tant à mon goût refoulé,
Et la larve et l'insecte à qui mes dents s'allient.
Suis-je Énée ou Pluton ? Télémaque ou Cérès ?
Mon front est rouge encor d'avoir poussé la glaise.
J'ai rêvé dans la grotte où j'étais trop à l'aise...
Et j'ai plus d'une fois cru tomber dans l'Hadès,
Modulant tour à tour sur mes moustaches grises
Des chansons dans le noir et des cris de surprise.
* Constellé de taches, à cause de la terre qui reste collée, — à moins que l'auteur ne décrive la « taupe au nez étoilé » (Condylura cristata), qui vit en Amérique du Sud. Le museau de cette dernière est entouré de tentacules charnus, qui sont en fait des organes tactiles lui permettant de repérer ses proies. Cet animal fait partie du bestiaire surréaliste.
© Alain Chevrier – 2002