Avatars de Nerval

Au commissariat

« Vos papiers, s'il vous plaît !
— Comment ?
— J'ai dit : vos papiers !
— Qu'est-ce que c'est ?
— Enfin quoi ! Carte nationale d'identité, permis de conduire, carte d'électeur !
— Mais... mais... permis de conduire quoi ? D'élire qui ? Vive notre bon roi Louis-Philippe I^er !
— Non, mais ça va pas ? Nom, prénom et qualités !
— Nerval, Gérard de. Poète.
— Nerval, hein ? Attendez... (Le flic compulse un gros registre.) Ah oui ! Labrunie Gérard. Oui, effectivement... C'est ce que je vais mettre sur le registre d'écrou. Bon, mais vous êtes en état d'arrestation pour ivresse publique et tapage nocturne. Ça m'étonnerait pas que vous finissiez au trou, à Sainte-Pélagie, par exemple.
— Écoutez, soyez gentil. J'ai assez d'emmerdements comme ça. Toute ma vie est ténébreuse. J'ai perdu ma femme et je ne m'en console pas. Puis vous croyez que Labrunie c'est un nom, ça ? C'est pourquoi je me fais appeler « de Nerval ». Oui ! Prince... prince d'Aquitaine. Ça la fiche mieux, non ? Et puis, ma baraque, vous savez ? Mi-na-ble ! Je préfère imaginer une tour en ruines. Ah, Dieu ! Elle est morte, ma seule étoile ! Putain, ce que je suis mélancolique ! Vous savez, l'été dernier, Stella, mon adorée, et moi, nous avons pris des vacances en Italie. Le Pausilippe ? Un rêve ! La villa était entourée de rosiers. Splendide ! Mais ces Ritals, quels arnaqueurs, alors ! Malgré ça, je ne me suis jamais senti plus amoureux. Plus amoureux que Phébus, c'est tout vous dire ! Ce que je l'aimais, ma reine ! Et cette grotte presque sous-marine où elle nageait...
— Mais vous délirez, mon vieux ! En plus, vous puez l'alcool. Allez ! Garde à vue.
— Horreur ! Cette cellule est un vrai tombeau ! »