LABRUNETTE
Je suis médecin ténébreux qui vais de ville en ville, de province en province, de royaume en royaume, pour chercher d'illustres veufs, des malades inconsolés dignes de m'occuper, des princes abolis capables d'exercer les grands et beaux secrets que j'ai trouvés dans les tours de l'Aquitaine. Je vois bien que vous ne me connaissez pas encore. Qui est votre médecin ?
DESDICHADO
Monsieur Amour, que l'on nomme aussi Monsieur Phébus.
LABRUNETTE
Cet homme-là n'est point écrit sur mes tablettes entre les grands médecins. De quoi dit-il que vous êtes malade ?
DESDICHADO
Il dit que c'est de mon étoile qui serait morte, et d'autres disent que c'est de mon luth qui est par trop constellé.
LABRUNETTE
Ce sont tous des ignorants. C'est du soleil noir que vous souffrez.
DESDICHADO
Du soleil noir ?
LABRUNETTE
Oui. Que sentez-vous ?
DESDICHADO
Je sens de temps en temps comme une mélancolie.
LABRUNETTE
Justement, le soleil noir.
DESDICHADO
Il me semble parfois que je suis dans la nuit, et comme en un tombeau.
LABRUNETTE
Le soleil noir.
DESDICHADO
J'ai quelquefois le désir de me trouver auprès du Pausilippe, ou bien parfois sur la mer d'Italie.
LABRUNETTE
Le soleil noir.
DESDICHADO
Je rêve souvent d'une fleur qui avait fort plu à mon cœur.
LABRUNETTE
Le soleil noir. Il vous prend parfois envie d'une treille ?
DESDICHADO
Oui, monsieur.
LABRUNETTE
Le soleil noir. Vous seriez bien aise qu'un pampre et une rose s'y alliassent ?
DESDICHADO
Oui, monsieur.
LABRUNETTE
Le soleil noir, le soleil noir, vous dis-je. Que vous dit votre médecin pour vous consoler ?
DESDICHADO
Il dit que la rougeur de ma complexion provient de mon front.
LABRUNETTE
Ignorant !
DESDICHADO
Que c'est la conséquence d'un baiser que j'ai naguère reçu de la Reine.
LABRUNETTE
Ignorant !
DESDICHADO
Que je ne dois plus me laisser porter à songer dans les grottes.
LABRUNETTE
Ignorant !
DESDICHADO
Et surtout que je ne dois point nager en compagnie des sirènes.
LABRUNETTE
Ignorantus, ignoranta, ignorantum. Il vous faut agir en vainqueur, et vous devez plus d'une fois traverser l'Achéron. Et pour édulcorer votre bile, qui est trop amère, il vous faut moduler sur la lyre. Votre médecin est une bête. Je veux vous en envoyer un de ma main, Monsieur Lusignan, et son apothicaire Monsieur Biron ; et Orphée viendra vous voir de temps en temps, tandis qu'il sera en cette ville.
DESDICHADO
Vous m'obligerez beaucoup.
LABRUNETTE
De quoi diantre vous sert cette sainte-là ?
DESDICHADO
Comment ?
LABRUNETTE
Voilà une sainte dont je me déferais tout à l'heure, si j'étais que de vous.
DESDICHADO
Et pourquoi ?
LABRUNETTE
Ne voyez-vous pas qu'elle soupire sans cesse, et que ses soupirs ne font qu'accroître l'amertume de votre bile ?
DESDICHADO
Oui ; mais j'ai besoin d'une sainte.
LABRUNETTE
Vous avez là aussi une fée que je jetterais hors du logis, si j'étais à votre place.
DESDICHADO
Renvoyer la fée du logis ?
LABRUNETTE
Ne voyez-vous pas que ses cris continuels incommodent vos oreilles ? Croyez-moi, renvoyez-la au plus tôt.
DESDICHADO
Cela n'est pas pressé.
LABRUNETTE
Adieu. Je suis fâché de vous quitter si tôt ; mais il faut que je me trouve à une grande consultation qui doit se faire pour un sonnet qui succomba hier à un excès de parodysie. Jusqu'au revoir.
Jean-Gérard Nerlin, dit Moleval
Parodie d'une scène du Malade Imaginaire de Molière (1622-1673).
Nicolas Graner, 2000, Licence Art Libre