Orphelin
Je suis le ténébreux, — le veuf privé de legs,
Le prince dont la tour fut abolie à Bourges :
Ma seule étoile est morte, — et le soleil des regs
Carbonise mon luth comme un Cafard de bourges.
Dans la nuit de la tombe, ô mon ami touareg,
Rends-moi le Pausilippe et l'Italie où cours-je,
La rose qui fleurit dans le creux du talweg,
La treille où le raisin s'entremêle à la courge.
Suis-je Amour ou Phébus ?... Lusignan ou Saint Malc ?
Le baiser de la reine était juste une burle ;
J'ai vu que s'entraînait la sirène en son palc...
Et j'ai deux fois créé des cordes sur ma curle :
Modulant des soupirs aussi doux que le talc,
Mais imitant parfois l'envoûteuse qui hurle.
Gernköpfle de Nervatn
reg : désert rocheux.
bourge : apocope familière de bourgeois.
touareg : nomade du Sahara (pluriel berbère de targui, admis comme singulier en français).
talweg : ligne de fond d'une vallée.
Saint Malc : moine du Ve siècle.
burle : moquerie.
palc : lieu d'exercices acrobatiques.
curle : rouet pour cordes de chanvre.
Les finales en -ourge, -eg, -alc et -urle sont parfois présentées comme « orphelines », c'est-à-dire qu'on ne les trouverait que dans un seul mot, interdisant donc de les utiliser comme rimes dans un poème. Ce sonnet montre qu'il n'en est rien, même s'il faut parfois recourir à des mots peu connus pour les apparier.
© Gilles Esposito-Farèse – 2015