Aider... comment ?
Travailler.
S'arrêter, ouvrir la portière, fermer la portière, rouler, s'arrêter, encaisser, repartir.
Travailler.
S'arrêter, ouvrir la portière, fermer la portière, rouler, s'arrêter, encaisser, repartir.
Travailler.
Terminer.
Souffler.
Rentrer.
Voir la fille.
Ralentir, hésiter, regarder, apprécier, s'émouvoir.
S'arrêter.
Ouvrir la portière, sourire, fermer la portière.
Parler.
Rouler.
Parler.
S'arrêter.
Ne pas encaisser.
Suivre des yeux.
Repartir.
Rentrer.
Rêver.
Ralph, 35 ans, est designer d'environnement. Américain, venu à Paris pour terminer ses études, il est tombé amoureux du quartier latin et y est resté. Il parle bien le français, avec un fort accent américain qui le rend irrésistible pour les filles, ou dumoins c'est ce qu'il croit.
Rémi, 3 ans, est parti sur la route. Équipé de pied en cap : chaussures, jean, parka jaune à capuche, chapeau. Dans son sac à dos, un doudoud, des couverts « Petit Prnce », un pot de blédina. Le premier obstacle qu'il rencontre dans la vaste forêt des Vosges est un cours d'eau à franchir à gué.
Ce voyage dans les Vosges s'annonçait décidément comme un fiasco. Il avait déjà mal commencé quand, la veille du déparrt, Ralph avait reçu un SMS de Manon où elle lui annonçait sans préambule qu'elle ne viendrait pas avec lui. Mais après qu'il avait décidé d'y aller tout de même en espérant que la solitude des grands bois l'aiderait à digérer cette nouvelle déception amoureuse, la météo avait résolu de l'accabler à son tour. Depuis deux jours, les averses ne cessaient que pour laisser la place au crachin. Pour ne pas sombrer dans la dépression, seul dans sa chambre d'hôtel, il lui avait bien fallu affronter l'humidité pour aller humer les effluves des sapins. Et voici que le ruisseau qu'il avait traversé à gué quelques heures plus tôt avait gonflé entre temps et était devenu presque infranchissable.
C'est alors qu'il entendit à quelques dizaines de mètres sur sa droite ce qu'il prit d'abord pour un cri d'oiseau blessé, mais identifia rapidement comme un pleurnichement beaucoup plus humain. Avertissement qui fut bientôt suivi d'une apparition non moins incongrue en ces lieux. Un petit bonhomme de trois ans tout au plus, portant une parka jaune citron, un jean collant d'humidité et un sac à dos, longeait le ruisseau en sanglotant doucement.
Pour un peu Ralph se serait attendu à ce que l'apparition lui demande : « s'il vous plaît, dessine-moi un mouton ». Mais ils n'étaient pas à mille milles de toute terre habitée et il était clair que le petit ange cherchait tout simplement à rentrer chez lui, de l'autre côté du ruisseau en crue. Il y avait là une urgence propre à faire oublier même au plus dépité des amoureux ses propres malheurs.
Sans prononcer un mot de crainte que son accent américain n'effraie l'agneau égaré, Ralph l'attrapa délicatement par la main, puis le saisit sous les bras et le percha sur ses épaules. L'enfant fut si surpris qu'il en oublia de continuer à pleurer et regarda autour de lui avec stupéfaction tandis que Ralph s'engageait jusqu'à mi-cuisses dans le cours d'eau en direction du village.
Mardave (n.m.) : invité d'une émission de radio que l'on prend en cours, que l'on croit reconnaître sans parvenir à l'identifier, et dont le nom ne sera pas rappelé jusqu'à la fin.
Britoir (n.m.) : emplacement de la table de la cuisine le plus commode pour poser le poste de radio mais qui est aussi celui où la réception est la moins bonne.
« Les britoirs, qui étaient rares dans les immeubles en brique des années 1960, se sont répandus dans les années 1980 avec la généralisation simultanée des constructions en béton armé et de la radio en FM. » (Histoire des radios libres de Carbone 14 à Vincent Bolloré, 2020)
Proginer (v.intr. ; néol. 2020) : réaliser qu'on a gardé son masque chirurgical devant le micro et l'enlever brusquement, ce qui a pour effet immédiat de saturer le son.
« Le prochain qui progine est viré ! » (Léa Salamé, 2021)
Tous les dieux et déesses de l'Olympe sont réunis en conseil des ministres en octobre 1958. Zeus préside l'assemblée.
Zeus : chers olympiens et -piennes, je vous ai ici rassemblés pour notre point annuel sur la situation de l'espèce humaine. Je demande à chacun et -cune d'entre vous un rapport succinct dans son domaine de compétence. J'appelle Arès à la tribune.
Arès, dieu de la guerre, s'avance nonchalamment
Arès : mes amis, cela fait bientôt quinze ans que nous n'avons plus de guerre mondiale. Certes, certes, la guerre froide s'est installée, et quelques conflits armés subsistent ici et là, mais rien qui nécessite notre intervention.
Zeus : bien, merci Arès. Je demande maintenant à Aphrodite de s'approcher.
Aphrodite : mon cher Zeus, les derniers chiffres de la natalité sont en hausse, signifiant que cela baise toujours bien dans les chaumières.
Zeus : parfait, merci à vous chère Aphrodite. J'appelle Apollon, notre ministre des arts et de la culture.
Apollon : eh bien, chères déesses, chers dieux, la télé et le cinoche, commercialement, tournent à plein régime. Par contre, le côté créativité laisse à désirer. Je dirais même qu'il est catastrophique.
Zeus : et les muses, Apollon ? Vos secrétaires d'état qui glandouillent toute la journée. Qu'attendez-vous pour les mettre au boulot ?
Apollon : j'ai bien essayé, Zeus, mais les humains s'en foutent. D'ailleurs les muses sont ringardes, plus personne ne veut les écouter.
Aphrodite,déese de l'amour, redemande la parole
Aphrodite : je pense qu'il faudrait réécrire des histoires d'amour. Dans un roman, une bonne scène d'amour ça vous relance une intrigue.
Apollon : non, Aphrodite, les derniers à savoir parler d'amour c'étaient les romantiques. Maintenant il faut renouveler la littérature.
Zeus s'adresse à Athéna, déesse de la sagesse
Athéna : la littérature a parlé au cœur, puis elle a parlé au cul, il faut maintenant parler au cerveau. Importons les mathématiques dans la littérature. Créons de nouvelles règles, des contraintes.
Héphaïstos, le dieu forgeron, sursaute à ce mot et lui coupe la parole
Héphaïstos : les contraintes, ça me connaît. Je peux forger des chaines, des carcans, des cadenas...
Zeus : qu'en penses-tu, Apollon ? Ne crains-tu pas que ces contraintes deviennent plutôt un frein à la création ?
Apollon : certes l'idée de contraintes me plaît. Mais à la condition que l'on puisse s'en libérer en les appliquant.
Héra, déesse de la famille, restée jusque-là silencieuse, demande timidement la parole
Zeus : qu'as-tu à dire ma poulette ? Pardon, je veux dire : madame la ministre ?
Héra : je pense qu'il faut maintenant laisser les humains prendre en main leur créativité. Voyez ce qui se passe quand on rapproche une femme et un homme. Il en sort toute une famille ! Rapprochons deux écrivains et nous verrons bien ce qu'il en résultera.
Le dieu de la vigne, Dionysos, lève le doigt
Dionysos : croyez-en mon expérience, ça marche d'autant mieux après avoir sifflé une bouteille de Saint-Amour. C'est mieux s'ils ont un petit coup dans le nez et un endroit tranquille à l'abri des regards.
Poséidon propose alors ses services
Poséidon : j'ai mon idée. Je connais une location en meublé dans une petite île battue par les flots. Ça vous irait ?
Tout le conseil applaudit.
Zeus : le conseil entérine les décisions et charge Apollon de rédiger les décrets d'application.
Le héron dédaigneux, affamé, se résigne.
Qui dédaigne un brochet, un goujon pleurera.
Quel homme n'a rêvé d'échapper au Destin ?
Lorsque Fortune prend notre avenir en main
Bien fol est qui croit s'y soustraire.
Eschyle, que les Grecs estimaient des plus grands,
En offre un exemple flagrant
Comme une leçon pour ses frères.
Le Poète ayant consulté
Un oracle fort respecté
Sut que d'une maison il serait la victime.
Lors il se retira en un désert lointain
Croyant pouvoir, par cet exil ultime,
Faire mentir le présage divin.
Un aigle survolant cette contrée austère
Cherchait du regard un rocher
Sur lequel il pourrait lâcher
L'animal qu'il tenait dans sa puissante serre.
Voyant du haut des cieux que luisait au soleil
Le crâne eschyléen d'un pur éclat vermeil,
Habilement, il laissa dessus choir
Une tortue en sa maison bien dure
Par quoi le dramaturge en expirant put voir
Ce qu'à vouloir braver le Destin on endure.
La pensée vagabonde à son rythme
Bondissant de phonème en concept
De faux-nez masquant les profondeurs
En aveux levés à la conscience
Qu'on s'y ensevelisse un long temps
Ou que l'on dérive au fil des songes
Des rives de la mer des possibles
Aux confins de l'océan intime
C'est en intime que l'on retrouve
Certains mots, certaines abstractions
Certe, un mot en appellera d'autres
Une chaîne qui croît à loisir
Qui croit à l'oiseau libre dans l'air ?
Qui croit à la pensée sans contrainte ?
Sur le trottoir trottine un grand chien jaune.
Que cherches-tu, animal en dérive ?
Que cherches-tu, mon cœur à la dérive ?
Un point d'appui un moment de repos ?
Point de repos, d'appui, de réconfort,
Seul dans la vie je dois tracer ma route.
Je trace seul la route de ma vie ;
Son terme est-il lointain encore ou proche ?
Proche du terme il est encore temps
De repartir vers un nouveau rivage.
Sur un rivage à nouveau débarquer,
Trouver sa place au milieu d'une ville,
Sur une place au milieu de la ville
Comme un grand chien sur le trottoir trottine.
Toujours à la recherche de la beauté dont le pied pourrait chausser son escarpin, le Prince s'était quelque peu égaré dans la nature. Sa quête trainait décidément en longueur et ne le menait nulle part. La tentation de l'abandon se faisait de plus en plus pressante. Il eut soudain l'intuition qu'un gargarisme de fenouil jaune pourrait seul le revigorer et il se mit à chercher frénétiquement une belle racine croustillante. Hélas, dans cette clairière ne poussaient que de vulgaires topinambours. « Tant pis, se dit-il, j'aurai peut-être plus de chance demain. » Et il s'endormit en rêvant à celle qu'il aimait.
« Les deux hommes entrèrent dans la pièce, commença Claude.
— Tu crois que ça va le faire ? s'inquiéta Camille.
— Mais oui, tu vas voir. Ça ouvre plein de possibilités.
— Oui, enfin, deux hommes, une pièce, c'est un peu confiné, non ? insista Camille.
— Réfléchis, reprit Claude. Ils peuvent être venus là pour se battre, pour prendre un verre, pour jouer...
— Ou même pour se marier ! s'exclama Camille.
— On n'avait pas dit que le roman se passait dans les années 80 ? Il n'y avait pas de mariage pour tous à l'époque.
— C'est toi qui avais parlé des années 80. On n'a encore rien fixé. Dans les deux pages qu'on a déjà écrites il n'y a rien qui situe l'époque.
— Bon, d'accord. Alors je continue : Les deux hommes entrèrent dans la pièce. Dehors, il faisait soleil... »
C'est une machine
À contre-courant
Peut-être cousine
Du bonhomme Jean
Elle est la vedette
Du froid et du chaud
La star des boulettes
Précieuse plutôt
C'est une ouverture
Confirmée des yeux
Une chose obscure
Qui servait Monsieur
C'est une manière
D'imiter la sœur
Pas à la légère
Un mur intérieur
Rimbaud et moi, on s'est cherchés longtemps avant de se trouver.
Rimbaud et moi, on est plus sensibles aux voyelles qu'aux consonnes.
Rimbaud et moi, on n'a pas eu du tout la même histoire familiale.
Rimbaud et moi, on aurait pu se croiser en dormant à la belle étoile.
Rimbaud et moi, je ne crois pas qu'on aurait pu vivre longtemps ensemble.
Est-ce que, cher Arthur, tu écrivais des vers quand tu avais six ans ?
Est-ce que, cher Arthur, tu étais malheureux quand tu étais ado ?
Est-ce que, cher Arthur, tu t'es senti très seul en quittant ta famille ?
Est-ce que, cher Arthur, tu as vu un soldat mort de deux trous au flanc ?
Est-ce que, cher Arthur, tu as changé de vie en devenant célèbre ?
Est-ce que, cher Arthur, tu as eu des amours que l'on ne connaît pas ?
Est-ce que, cher Arthur, tu étais synesthète ou tu faisais semblant ?
Est-ce que, cher Arthur, tu as aimé Verlaine autant qu'on le prétend ?
Est-ce que, cher Arthur, tu sais vraiment pourquoi tu as cessé d'écrire ?
Est-ce que, cher Arthur, tu te sentais utile en parcourant l'Afrique ?
Est-ce que, cher Arthur, tu aurais pu finir boutiquier à Paris ?
Est-ce que, cher Arthur, tu voudrais retoucher tes portraits aujourd'hui ?
elle est là
c'est pas vrai
putain, je me barre
le train
encore là
merde, trop tard
la sortie
en courant, ça peut réussir
la route
la forêt
et Izambard ?
il voudra pas
jamais
pas possible
il veut que j'aille chez elle
pas possible
partir, impossible — rester, impossible
il... derrière
elle... devant
plus que cinq mètres
et si je la tuais ?
il voudra pas
jamais
et si je me tuais ?
il me laissera pas
trois mètres
elle va parler
je parle — elle me frappe
je parle pas — elle me frappe
lui doit parler
deux mètres
putain, dis quelque...
il dit rien
elle a frappé
Nicolas Graner, août 2021, Licence Art Libre