La forme d'une ville change plus vite, hélas, que le cœur des humains.
La forme d'une fille change plus vite, hélas, que le cœur des humains.
La force d'une fille change plus vite, hélas, que le cœur des humains.
La force d'une fille change plus le vote, hélas, que le cœur des humains.
La force d'une fille charge plus le vote, hélas, que le cœur des humains.
La force d'une fille charge plus le vote, hélas, que le cœur de l'humour.
La force d'une fille charge plus le vote, hélas, que l'odeur de l'humour.
La force d'une fille charge plus le vote et chasse l'odeur de l'humour.
La force d'une fille charge pleinement le vote et chasse l'odeur de l'humour.
rue des mouettes
des chansonnettes
rue des tourterelles
une voix frêle
rue des cigognes
un homme en rogne
rue des mésanges
la voix des anges
rue des colombes
la paix des tombes
rue des hirondelles
bruissement d'ailes
rue des perruches
bourdon de ruche
rue des rossignols
trop de bagnoles
place des serins
un coup de frein
rue des alouettes
rumeur pas nette
impasse des canaris
concert de cris
rue des bouvreuils
frottis de feuilles
rue des bergeronnettes
une sonnette
rue des moineaux
pas de sono
rue des chardonnerets
ta voix tout près
impasse des goélands
un blanc
L'heure de la sonnerie du réveil impitoyable.
L'heure du silence dans la maison endormie.
L'heure de l'ouverture de la porte de derrière.
L'heure du silence de la rue déserte.
L'heure de la vastitude de la place déserte.
L'heure du bonjour amical de la boulangère.
L'heure de l'odeur chaleureuse de la baguette fraîche.
L'heure du retour par la digue déserte.
L'heure de la sortie de la pirouète matinale.
L'heure du café dans la maison silencieuse.
L'heure de l'apparition des pirouètes ensommeillés.
L'heure du petit déjeuner dans la maison bruyante.
L'heure du départ des pirouètes bruyants.
L'heure de l'apparition des enfants ensommeillés.
L'heure du petit déjeuner dans la maison animée.
L'heure du départ des enfants animés.
L'heure du ménage dans la maison silencieuse.
L'heure de la sortie dans les rues animées.
L'heure de la causette avec Josette-d'en-face.
L'heure des courses sur la place animée.
L'heure du retour des pirouètes affamés.
L'heure du déjeuner des pirouètes bruyants.
L'heure du départ des pirouètes bruyants.
L'heure du retour des enfants affamés.
L'heure du déjeuner des enfants animés.
L'heure du silence dans la maison vide.
L'heure de la sieste devant l'ordinateur impitoyable.
L'heure du retour des pirouètes épuisés.
L'heure des conversations des pirouètes bruyants.
L'heure de la baignade avec les enfants animés.
L'heure du dîner des pirouètes pressés.
L'heure de la sortie dans les rues animées.
L'heure de la queue devant la salle accueillante.
L'heure du spectacle des pirouètes attentifs.
L'heure de la sortie sur la place festive.
L'heure du retour des pirouètes épuisés.
L'heure du coucher des pirouètes raisonnables.
L'heure du retour des enfants bruyants.
L'heure du coucher dans la maison animée.
L'heure du coucher des enfants déraisonnables.
L'heure du silence dans la maison endormie.
Depuis quatre cents ans au moins on le connaît.
Arrivé d'Italie, espèce envahissante,
Le curieux animal qu'on appelle sonnet
A pris dans nos pays une place croissante.
Grâce à ses douze pieds il tient solidement
Malgré sa tête lourde et son corps un peu frêle.
Sa queue finit en pointe, assez élégamment ;
En ce sens, le sonnet ressemble à l'hirondelle.
Le mâle, très brutal, aime donner des coups,
À sa triste compagne au doux nom de sonnette.
Elle en a des boutons sur la tête et le cou.
« On tape pas, sonnet ! » crie alors la pauvrette
En vain : seuls ses enfants, sonnelette et sonneau,
Peuvent être entendus de ce vrai tyranneau.
Il a sagement glanché sa murle.
Il s'est barflé les groves.
Il a fait grougrou.
Il s'est pluffi dans son petit cribon.
Elle est venue lui sotoriper une gapurle.
Elle lui a zouffé un bicro.
Il a clovu ses ourques et s'est tout de suite dégruffi.
Alors les orgoniasques ont grabatoufé les gromphantes dramonsures en mircanes glossurières, chouvonniques et ostrumeuses.
Il s'est burifé en nardot.
Elle est refindée aussitôt.
Il s'est redégruffi.
LE CUISINIER
Une botte de carottes,
deux patates sans grâce,
trois oignons à ma façon,
quatre poireaux à l'eau,
cinq courgettes pas si bêtes,
un raton-laveur.
LE RATON-LAVEUR
Hein ? On m'a appelé ?
LE CUISINIER
Six tomates aux aromates,
sept choux-fleurs au beurre,
huit endives maladives,
neuf brocolis jolis,
dix haricots bien chauds,
un raton-laveur.
LE RATON-LAVEUR
Je suis là.
Qu'est-ce que tu me veux ?
LE CUISINIER
Un bifteck de fennec,
deux saucissons de hérisson,
trois côtelettes de belette,
quatre rôtis d'agouti,
cinq saucisses de génisse,
un raton-laveur.
LE RATON-LAVEUR
Hé, qu'est-ce que je fous là ?
J'ai rien demandé, moi !
LE CUISINIER
Six cervelles sauce béchamel,
sept quiches sauce gribiche,
huit fraises sauce béarnaise,
neuf cerises sauce Soubise,
une douzaine d'œufs sauce au bleu
et un raton-laveur.
LE RATON-LAVEUR
À table !
Le pli du toit de la fenêtre de la porte de la fenêtre du mur du toit de la fenêtre de l'angle de la cour de la fenêtre du toit du mur de la porte de la fenêtre derrière un poète inspiré, un poète dubitatif, un poète rêveur, un poète hésitant, tout un archipel de poètes devant le mur de la fenêtre du toit de la porte du mur qui s'ouvre vers l'horizon des arbres.
Le ciel loin de la terre surplombe la finitude des arbres.
L'ambition du mur, à hauteur de fourmi, se heurte aux feuillages d'octobre.
Ici pas de transition, un monolithe de granit rouge.
Le sol qui monte à l'assaut, quelque part jure avec la mosaïque.
Je me perds en allers-retours.
Quand ma fleur est bleue
la muse chante en latin
le sel de ton gland
un
qui tremble tout seul
après
lui
viendra
la kyrielle des suivants et les suivants des suivants
dont jamais aucun
n'aura le courage de devenir premier
Avant la bataille, les Normands prient sous le regard goguenard de leurs ennemis.
Avant la bataille, les Normands mettent la dernière main à leur plan stratégique.
Avant la bataille, les Normands vouent au diable le Pape, les Lombards, les Germains et toutes leurs cliques.
Avant la bataille, les Normands écrivent une lettre d'adieu à leur femme.
Avant la bataille, les Normands entonnent virilement leur hymne : « J'irai revoir ma Normandie... »
Avant la bataille, les Normands astiquent leurs glaives et leurs braquemarts.
Avant la bataille, les Normands redoutent de se retrouver duc des Pouilles.
Avant la bataille, les Normands bouchonnent leurs palefrois et leurs destriers.
Avant la bataille, les Normands débouchonnent les dernières bouteilles de cidre.
Normand viril | Germain goguenard | |
ennemis | ||
braquemart viril | destrier goguenard | |
diable | ||
lettre en plan | ||
bouteille en main | ||
redoute Pape | ||
stratégique | ||
duc viril | femme goguenarde | |
adieu |
Je me tais. J'écoute. Quelqu'un dans la haie a ouvert un livre malgré les épines. Les pages tournent. Une page, une autre page, encore une page, indéfiniment. Comme une aspiration impalpable vers un point inaccessible, verticalement. Le livre de sable s'enfonce sous mes pas tandis que mes doigts gravissent ses mots, ses phrases, ses paragraphes, ses chapitres en une ascension orientée précisément vers le milieu du milieu du ciel. Si seulement on pouvait saisir ce que l'on voit, ce que l'on sent, ce que l'on sait, ce que l'on conçoit, ce que l'on pressent ! Si seulement il pouvait cesser de descendre, cesserais-je de monter ? De toute éternité, avant que les hommes ne lèvent les yeux vers la voûte céleste, le livre a engendré ses fumerolles nébuleuses dans l'attente de mon regard. Personne ne sait jusqu'où le zénith l'attire, personne ne sait si l'Univers est infini, personne ne sait la dernière page du livre de sable. La haie surplombe notre position au méridien, loin, très loin, si loin.
Frégomberte de Molerne, dite Frégomberte Chassepie
Frégomberte naquit fille de ferme au domaine de Fressiburge de Borsa, dit le gourmand. Au cours de l'un des innombrables banquets gargantuesques que donnait son seigneur, l'intendant découvrit qu'une cuillère en argent manquait et accusa du vol la jeune servante. Condamnée à mort malgré ses serments d'innocence, celle-ci était sur le point d'être pendue haut et court lorsqu'elle aperçut, au sommet de l'arbre soutenant sa corde, un nid de pie qui brillait au soleil. Son frère Robivert grimpa jusqu'au nid et en rapporta la cuillère disparue.
Frégomberte fut grâciée et le pieux Fressiburge, pour expier son péché d'injustice, l'anoblit en lui faisant don du comté de Molerne. Elle fut une comtesse aimée et respectée de ses sujets, qui l'appelaient familièrement Frégomberte Chassepie. Ses armoiries étaient parties d'or et de gueules portant à sénestre une pie de sable tenant en son bec une cuillère d'argent, à dextre une licorne d'argent, symbole de virginité car Frégomberte ne se maria jamais.
Il me semble que, sous les ombrages d'une forêt, je suis oublié, libre et paisible comme si, enveloppé dans la tiédeur des gouttes d'arbres, mon esprit flottait sur la crête du monde, abandonnant mon corps en immersion dans les profondeurs de la matière. Tandis que celui-ci ballotte de çà et de là comme un bouchon sur la vague, celui-là s'élève avec une légèreté infinie, étourdi de fluidité, grisé d'apesanteur.
Pourquoi m'as-tu fait cela, méchant chêne ?
Tu sais pourtant combien j'aimais venir m'asseoir à ton pied.
Tu m'attendais tous les matins.
Tu me voyais venir de loin, et quand j'approchais de la lisière, tu te hissais sur la pointe des racines pour me faire signe par-dessus la cime du grand châtaignier.
Pourquoi n'étais-tu pas à notre rendez-vous ce matin ?
Pourquoi a-t-il fallu que je m'enfonce dans le sous-bois avant de t'apercevoir ?
Pourquoi ai-je écorché mon genou en butant sur une branche en travers du chemin ?
Pourquoi n'ai-je trouvé à ton pied qu'une souche hérissée d'éclats menaçants ?
Est-ce pour m'empêcher de te caresser que tu t'es couché au milieu des orties et des ronces ?
Pourquoi ton tronc noirci est-il empêtré dans ce fatras de branches ?
Pourquoi ai-je éprouvé un tel pressentiment cette nuit en entendant s'abattre la foudre ?
Méchant chêne, tu n'aurais pas dû faire cela.
Quand l'incendie attriste la panthère,
Quand les grêlons font pleurer les oiseaux,
Quand le volcan soubresaute la terre,
Quand les poissons craignent les grandes eaux,
Quand l'avalanche emporte la limule,
Quand les tritons désertent les roseaux,
Quand le brouillard peine la libellule,
J'aime à plonger au cœur de la forêt.
Loin de la ville où la foule tribule,
Les noirs bourdons marquent un temps d'arrêt,
Le gris du ciel paraît un peu moins terne,
Les songes creux se tiennent en retrait.
Entre les troncs la lumière s'alterne,
La mousse roule au pied des champignons,
La chouette rit en soufflant sa lanterne,
Les chênes jouent à sauter des pignons,
Les lynx en rut entremêlent leur course,
La sylve luit de mille lumignons.
C'est là que, seul, je trouve la ressource
De m'élever au-dessus de l'humain
En oubliant que le cours de la Bourse
Peut s'effondrer du jour au lendemain
Et que ce soir, dans une heure peut-être,
Je ne vais pas retrouver mon chemin.
Je ne veux pas dormir au pied d'un hêtre.
Autrefois le rat de ville
invita une souris
à le suivre à son hôtel.
Il lui offrit du gigot
cuit à point, juste rosé,
mais elle éclata de rire :
« Pas besoin d'être devin :
ne sais-tu pas, grosse bête,
que les rongeurs à poil blanc
sont toujours végétariens ? »
Elle partit en courant
retourner à ses oignons.
Il s'était pris une pile,
son coup était bien loupé.
Pour raccomoder les fils,
car il avait le cœur gros,
il avala d'un seul coup
un copieux plat de lentilles.
« Bah, je m'en suis bien tiré »
songea-t-il quand vint le soir
car il craignait que la chatte
du voisin n'arrive un jour
à le dévorer tout rond,
ce qui aurait beaucoup nui
à son beau pelage gris.
Nicolas Graner, août 2022, Licence Art Libre