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Retour vers Le cothurne étroit

Pirouésie 2025

Lundi matin

Cet oiseau miaule-t-il pour donner le change au chat qui se pourlèche sur l'échauguette du château ?
Ou raille-t-il le serpent qui siffle au sol sans espoir de s'approcher de son nid ?
Ou ne carcaillerait-il pas plus crânement s'il ne craignait d'écraser la fragile coquille de ses œufs ?
Ou pituite-t-il à tue-tête sa terrible trompette pour attirer la troupe qui l'attend tout en tas ?
Ou nasille-t-il naïvement dans la nuit comme un nain nageant dans le noir, négligé et nu ?


Lundi après-midi — 1

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ma minette
mignonette
choupinette
    OUIIIN !

ma mignonne
pelotonne
édredonne
    ARRRRG !

ma si belle
ma donzelle
mon oiselle
ma gazelle
    MAAAAOUUUUU !

c'est bon
allons
faire ton
biberon


Lundi après-midi — 2

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« Il va sûrement pleuvoir.
— Peut-être cet après-midi mais pas maintenant.
— Il va sûrement pleuvoir avant la fin de la matinée.
— Cet après-midi peut-être mais pas ce matin.
— Mais si.
— Mais non.
— Mais si.
— Mais non.
— D'ailleurs il a déjà plu cette nuit alors...
— Cette nuit je n'ai rien entendu.
— Pourtant il a plu en fin de nuit.
— Au milieu de la nuit peut-être mais pas en fin.
— Mais si.
— Mais non.
— Mais si.
— Mais non.
— Tu n'as rien entendu parce quetu dormais.
— Quand je me suis réveillé il ne pleuvait pas.
— Quand tu t'es réveillé il ne pleuvait plus.
— S'il avait plu avant ça m'aurait réveillé.
— Mais non.
— Mais si.
— Mais non.
— Mais si.
— Mais non.
— Mais si.
— D'ailleurs ça y est il commence à pleuvoir.
— Il ne pleut pas je n'ai rien senti.
— Il commence à pleuvoir tu vas bientôt le sentir.
— S'il commençait à pleuvoir je l'aurais déjà senti.
— Mais non.
— Mais si.
— Mais non.
— Mais si.
— Mais non.
— Oh et puis flûte tu m'emmerdes à me contredire tout le temps si c'était pour me dire ça que tu es venu me voir tu pouvais rester chez toi et d'ailleurs tu ferais bien de rentrer vite fait si tu ne veux pas te faire mouiller. »


Lundi après-midi — 3

Coucourlirondelle
tu dois sans cesse t'enfuir
hybride abattu.

* * *

Élan, ô élan,
tu es aussi beau et lent
que le goéland.

* * *

Les cris de la mouette,
le vol libre de l'alouette,
les yeux de la chouette.

* * *

Le chaos déferle
quand les moules font des perles,
les poules des merles.


Lundi après-midi — 4

Oh, comme il fait beau !
L'air est pur, la route est large.
On est très heureux.

Oh, comme il est beau !
L'œil est pur, la bouche est large.
On va s'amuser.

* * *

Les oiseaux sont beaux.
Un oiseau que j'aime bien,
c'est la bartavelle.

Les oiseaux sont cons.
L'animal que j'aime bien,
c'est l'hippopotame.

* * *

Va dans le jardin
me cueillir du romarin,
joli rossignol.

Va dans le frigo
me chercher du panaché,
et dépêche-toi.

* * *

Le merle moqueur
m'a volé quatre cerises,
mes pendants d'oreilles.

Le voisin moqueur
m'a volé une brouette,
je me vengerai.


Mardi

Émission de radio de 55 minutes

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Mercredi matin — 1

Mes forêts sont discrètes, elles se laissent traverser par le murmure du vent, le chuintement de quelques insectes, tandis que leur léger humus se refuse à nourrir la foule bruyante des grands mammifères.


Mercredi matin — 2

Mes forêts sont ancrées par les racines de la terre dans le silence accueillant d'un ruisseau qui jaillit par la déchirure irréversible d'un rocher dressé vers le ciel.


Mercredi matin — 3

Mes forêts sont des déchirures, côté ocre et côté sombre.
Mes forêts sont des ouvertures, envers des feuilles, humus coupé.
Mes forêts sont irrémédiables, rochers dressés à l'infini.
Mes forêts sont impardonnables, bêtes avalées par l'été.
Mes forêts sont ancrées en terre sous l'horizon de ta peau.
Mes forêts sont contestataires.
Mes forêts savent aussi se taire.


Mercredi après-midi — 1

Quand la mer monte, le bulot descend. Il pointe le groin hors de la bonbonne qui lui tient lieu de maison et tend l'oreille au murmure de la houle. Assuré qu'aucun vol d'éléphants migrateurs ne menace son fragile environnement, il se glisse avec précaution à travers son entonnoir quelque peu bricolé et progresse tel un ectoplasme, un petit bout de chandelle dans la main droite, jusqu'au pied de l'arbre dans les branches duquel il a jalousement caché son dernier morceau de clafoutis. Perché sur une feuille orangée, il déguste le délicat collage de bigarreaux vermillon en murmurant in petto : « Dieu, que j'aime le silence ! »


Mercredi après-midi — 2

Heureusement que le bateau était solide.
Malheureusement il prenait l'eau.
Heureusement qu'il y avait des gilets pour tout le monde.
Malheureusement ces gilets n'étaient pas jaunes mais orange.
Heureusement qu'ils flottaient tout de même.
Malheureusement d'énormes vagues submergèrent le bateau.
Heureusement qu'on était tout près de la côte.
Malheureusement il n'y avait rien à manger dans le bateau.
Heureusement qu'il y avait des filets de pêche.
Malheureusement les crabes avaient déserté la région.
Heureusement qu'il restait quelques morues.
Malheureusement ils détestaient ça.
Heureusement ils étaient aussi ivres que leur bateau.
Malheureusement Rimbaud n'était pas à bord.


Mercredi après-midi — 3

Heureusement la guenon est immortelle.
Malheureusement ses enfants ne le sont pas.
Heureusement que leur vie est enthousiasmante.
Malheureusement ils n'en sont pas toujours conscients.
Heureusement que certains sont là pour leur rappeler.
Malheureusement ils se coincent souvent la queue entre deux branches.
Heureusement ils la décoincent aisément.
Malheureusement cela laisse des traces bien visibles.
Heureusement ce sont des traces artistiques.
Malheureusement l'art contemporain ne se vend pas bien de nos jours.
Heureusement ils ne sont pas regardants.
Malheureusement il faut bien gagner de quoi acheter ses cacahuètes.
Heureusement ils sont philosophes.
Malheureusement la philosophie non plus ne remplit pas l'estomac.
Heureusement ce sont des ascètes ermites.
Malheureusement le public tient absolument à venir les voir.
Heureusement ils parviennent à se dissimuler dans les branches.
Malheureusement ils se coincent souvent la queue entre deux branches.
Heureusement ils la décoincent aisément.
Malheureusement cela laisse des traces bien visibles.
Heureusement ce sont des traces artistiques.
Malheureusement l'art contemporain ne se vend pas bien de nos jours.
Heureusement ils ne sont pas regardants.
Malheureusement il faut bien gagner de quoi acheter ses cacahuètes.
Heureusement ils sont philosophes.
Malheureusement la philosophie non plus ne remplit pas l'estomac.
Heureusement ce sont des ascètes ermites.
Malheureusement le public tient absolument à venir les voir.
Heureusement ils parviennent à se dissimuler dans les branches.
Malheureusement ils se coincent souvent la queue entre deux branches.
Heureusement ils la décoincent aisément.
. . .


Vendredi matin — 1

Assis au pied d'un bouleau
  haut,
je regarde les sapins
  peints
par les gens de l'atelier,
  liés
à leur table de travail,
  vaille
que vaille. Je te contemple,
  ample
image d'un paysage
  sage
où ne paraît nul reflet
  laid
en dépit de quelques sombres
  ombres
qui dans le lointain alternent,
  ternes,
avec les feux d'un illustre
  lustre.
Tentant de fuir la lumière
  erre
une sorte de fantôme :
  homme
ou bête, qui le dira ?
  Rat
qui dévore ou, tel l'aspic,
  pique ?
Appuyé à mon bouleau
  haut
je me réveille en sursaut :
  sot
que je suis ! Ce jour maudit
  dit
que je m'en vais terminer
  miné.


Vendredi matin — 2

Sur la plage humide,
un homme cherche à pas lents
des coquilles vides.

Dans son panier blanc,
moules, bulots et palourdes
tintent en tremblant.

Cette clameur sourde
résonne en un triste glas
dans mon âme lourde.

Je me sens si las,
vague sans eau, coque creuse,
quand tu n'es pas là.

Chanson ténébreuse
d'un cœur veuf, inconsolé
dans la nuit ombreuse.

Sur le sable ourlé,
le reflux sculpte des rides ;
je reste esseulé.


Vendredi après-midi

Grangaud
pasteur ardéchois
traduisit la Bible
en fumant sa pipe
Jules

* * *

Grangaud
pasteur ardéchois
jouait du violon
en fumant sa pipe
Jean

* * *

C'est un pied
en acier
qui fit un rentier
de Pierre Vernier.

* * *

Marie, en
ses quinze ans,
quitta ses parents
et prit un amant.

* * *

Antoinette Brune,
En femme d'esprit,
Géra la fortune
De son feu mari.

* * *

Mille huit cent vingt-sept,
mille huit cent quatre-vingt-douze :
c'est Pierre Grangaud,
qui prit part à la Commune
et mourut à Nouméa.


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Nicolas Graner, août 2025, Licence Art Libre