Aller au pied de page
Contrerimes
Je suis le veuf, l'inconsolé,
le prince d'Aquitaine à la tour abolie :
ma seule étoile est morte, et mon luth constellé
porte de la mélancolie.
La nuit, toi qui m'as consolé,
rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
la fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé.
La treille à la rose s'allie.
Suis-je Amour ou Phébus, Lusignan ou Biron ?
Rouge du baiser de la reine,
j'ai rêvé dans la grotte où nage la sirène.
Et j'ai traversé l'Achéron,
modulant sur ta lyre, Orphée,
les soupirs de la sainte et les cris de la fée.
Je suis le ténébreux, le veuf, l'inconsolé
À la tour abolie,
Et mon luth constellé
Porte le soleil noir de la Mélancolie.
Dans la nuit du tombeau, toi qui m'as consolé
Rends la mer d'Italie
À mon cœur désolé,
Et la treille où le pampre à la rose s'allie.
Suis-je Amour ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la reine.
J'ai rêvé la sirène.
Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron,
Modulant sur Orphée
Les soupirs de la sainte et les cris de la fée.
Une contrerime est un quatrain dans lequel les rimes et la longueur des vers (mètre) suivent des structures différentes. Dans les plus célèbres, celles de Paul-Jean Toulet (1867-1920), les rimes ont une structure embrassée (A B B A) et le mètre une structure alternée (8, 6, 8, 6 syllabes). Ici, on a conservé les rimes de El Desdichado mais modifié le mètre. Les quatrains en rimes alternées (A B A B) ont reçu un mètre embrassé (8, 12, 12, 8 dans la première version ; 12, 6, 6, 12 dans la seconde). Les vers 9 à 12, vus comme un quatrain à rimes embrassées (C D D C), ont reçu un mètre alterné (12, 8, 12, 8 ; ou 6, 12, 6, 12). Le distique formé par les deux derniers vers est aussi devenu dissymétrique (8 et 12 syllabes pour la première version, 6 et 12 pour la seconde).
© Robert Rapilly – 2016
