El Desdichadou
Ye suis lou ténévrux, — lou vuf, — l'enconsoulé,
Lou prence d'Aquitaine à la tour avoulio :
Ma sule étoile est morte, — et mon luth constellé
Porte lou souleil noir de la Mélancoulio.
Dans la nuit du tomveau, toi qui m'as consoulé,
Rends-moi lou Pausilippe et la mer d'Italio,
La flur qui plaisait tant à mon cur désoulé,
Et la treille où lou pampre à la rose s'allio.
Suis-ye Amour ou Phévus ?... Lusignan ou Viron ?
Mon front est rouye encor du vaiser de la reine ;
Y'ai rêbé dans la groutte où naye la sirène...
Et y'ai dux fois benqueur trabersé l'Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d'Ourpheio
Les soupirs de la sente et les cris de la feio.
Yérard de Nerbal
Le narrateur étant un gascon (le Prince d'Aquitaine), nous avons
reconstitué l'accent avec lequel il devait prononçer son poème. Pour
ce faire, nous avons employé le vocabulaire du héros d'Agrippa
d'Aubigné, Les Avantures du baron de Fæneste (1630). Voici les
règles de son langage d'après Jacques Bailbé dans l'édition de la
Pléiade des œuvres de d'Aubigné (1969),
p. 1348-1349 :
D'Aubigné systématise abusivement certaines déformations de la prononciation gasconne ou de la prononciation de cour :
- Tous les v sont remplacés par des b et il est vrai que le gascon ne connaît pas le son v ; mais en remplaçant, inversement, tous les b par des v, d'Aubigné veut sans doute caricaturer les tentatives des gascons en France pour prononcer quelquefois le son v.
Exemples : vrabe pour brave, voire pour boire et inversement, abec pour avec, bous pour vous, etc.
- Le je, conformément à la prononciation gasconne, est écrit ye.
Exemples : aryent pour argent, bilaye pour village.
- O est très souvent remplacé par ou suivant une tendance très limitée en gascon qui fait passer le o tonique des radicaux à ou lorsqu'il devient prototonique. C'était aussi une déformation assez générale à la cour, elle ne semble pas obéir chez Fœneste (sic) à des règles très précises.
Exemples : escoulier, poumeau, louger, cathoulique, philosoupher.
- Fœneste (resic) transforme systématiquement eu et ieu en iu. [?]
Exemples : dux pour deux, honur pour honneur, monsur pour monsieur, bius pour vieux.
- Le gascon connaissant un certain nombre de mots féminins se terminant par o atone, nous trouvons dans quelques mots la finale ée ou ie remplacée par eio ou io.
Exemples : compenio pour compagnie, espeio pour espée.
- Le groupe nasal ain est transformé en en dans un certain nombre de monosyllabes [??] (tren pour train, bilen pour vilain), oint devient oent dans ne poent, mais on trouve parallèlement le mot gascon punt pour point.
- Quelques mots simples semblent directement empruntés au gascon : l'article lou pour le, puch pour puis, prepaux pour propos, praube pour pauvre, darré pour derrière ou pour dernier, etc.
- Quelques déformations de mots sont particulières au langage de la cour : maneschal pour mareschal, queitaine ou caitaine pour capitaine.