Théophilien
Un froid et ténébreux silence dort à l'ombre,
Charon m'appelle à soi, je suis désespéré.
Haut d'une vieille tour mélancolique et sombre,
Tel est, grave et pesant, un Amant désolé.
J'ai des luths les plus doux goûté la mélodie,
Les flots de la vendange écument au pressoir,
Je vois en gémissant la Maison de Sylvie
Aussi souvent qu'Amour : Soleil devenu noir.
Froides nuits du tombeau !... J'ois Charon qui m'appelle,
Et la rougeur paraît de dire à cette Belle
Où le Flambeau du jour n'osa jamais venir...
Ici murmureront les eaux — Dryade approche.
L'effroi de l'Achéron m'apporte le Soupir,
Ta bouche n'est qu'aux cris, au creux de cette roche !
Chaque vers ou fragment de vers est tiré de poèmes de Théophile de Viau (1590-1626), surtout Un corbeau devant moi croasse et Satire première. Théophile de Viau, ou simplement Théophile, poète baroque tombé dans l'oubli au XVIIe siècle, a été remis au goût du jour au XIXe par Théophile Gautier, et Nerval le connaissait. On retrouve dans ces vers beaucoup d'éléments qui ont pu inspirer El Desdichado, de la vieille tour à la Dryade (Eurydice était une dryade) en passant par le Soleil noir.
© Robert Rapilly – 2006