Épistolaire
Lusignan le 15 octobre 1682
Il faut que je vous mande, ma chère cousine, une chose si furieusement lamentable que je tomberois de mâle rage à l'idée que vous la sussiez autrement que de moi.
Asseyez-vous et oyez : Monseigneur que l'on appelle céans le Ténébreux est veuf et si grandement, si longuement, largement inconsolable qu'il ne quittait plus sa vilaine Tour, à Bollie, pleurant et gémissant sur son étoile morte, son soleil aussi noir que les idées de la Voisin, jouant à longueur de temps sur un vieux luth pour passer sa mélancolie, que dis-je ses humeurs.
Et connaissez-vous la cause d'un tel chagrin dans le cœur du septième Prince du sang : La marquise de Lupanar ? Vous n'y êtes point. Madame de Sainte-Thunes dont le front est vanté de Sucy-en-Brie à Orgerus ? Pas davantage. Monseigneur s'est mis dans la tête de récupérer ses terres de Pausilippe qui ne valent pas dix pistoles et sa mer d'Italie qui n'en vaut pas plus. Il exige de surcroît du Vicomte du Tombeau à qui il avait cédé ces biens, qu'il lui rende ses fleurs, sa treille et un pampre si touffu et si épineux que vous n'en voudriez pas pour toutes les roses du monde. Et pourquoi ce grand bruit, ma chère bonne ? Tout simplement parce que notre Amour a perdu le sens, les sens pour ne rien vous cacher. Il se prend pour le Roi Soleil, Phœbus en personne ou pour Biron ce chantre venu d'Albion avec le perfide Buckingham. Comme ce dernier d'ailleurs il s'est entiché de la Première Dame du royaume qui l'ayant gratifié d'un baiser, lui a laissé le front carmin comme le cul d'un des singes de la Grotte des Sirènes du Trianon où il passe le plus clair de son temps.
Toute la cour s'est bien divertie de cette aventure comme de l'équipée du Prince qui a traversé le Jabron près de Grignan avec, restez sur votre séant avant de me lire, cette sorcière de Montremoitou qui sent la roture à plein nez et ne parle qu'en hurlant. Le Roi ne sait encore rien des affaires mais son courroux risque d'être grand.
Heureusement Mademoiselle Chlorinde de la Fée d'Orfée veille au grain avec ses seize ans, et ses soupirs qui s'accordent avec les modulations de la lyre dont Monseigneur joue fort bien.
Je vous tiendrai au courant par le menu car je dîne ce soir chez les Orfée.
Comtesse Mariard de Séval
Pastiche des lettres de Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné (1626-1696).
© Alain Zalmanski – 2000