Parlons donc premierement de la dance guerriere, puis nous parlerons de la recreative. Les instruments servant a la marche guerriere, sont les buccins & trompettes, litues & clerons cors & cornets, tibies, fifres, arigots, tambours, & aultres semblables, mesmement lesdicts tambours.
Le tambour des perses (duquel usent aulcungs allemands le portans à l'arçon de la selle) est composé d'une demysphere de cuyvre bouchée d'un fort parchemin, d'environ deux pieds & demy de diametre: & faict bruit comme d'un tonnerre, quant ladicte peau est touchée avec batons.
Le tambour duquel usent les françois [assés cogneu par un chacun] est de bois cave long d'environ deux pieds & demy, estoupé d'un cousté & d'aultre de peaulx de parchemin, arrestées avec deux cercles denviron deux pieds & demy de diametre, bandées avec cordeaux affin qu'elles soient plus roides: & faict [comme vous pouvez avoir ouy plusieurs fois] un grand bruit, quant lesdictes peaulx sont frappées avec deux battons que celluy qui les bat tient en ses mains. La figure en est assés cogneue à un chacun, toutesfois je la mettray icy puis que nous en sommes en propos.
Capriol.
Vous mectés des petits liens & boucles, à chacune reflexion des cordeaux du tambour.
Arbeau.
C'est pour bander les peaulx quant on le veut batre, en approchant lesdicts liens prés du meillieu: & pour les desbander quant on le veut laisser à repos en approchant lesdicts liens des cercles & bords, Je ne scay si les enfans d'Israel usoient de tambour à un fonds, comme on faisoit à Romme au sacrifice de la mere des dieux: mais le quinzieme chappitre d'Exode rapporte, que Marie sœur de Moyse & d'Aaron, battoit fort bien le tambour. Virgile au sixieme de l'Æneide parlant de Misenus, trompette d'Hector, puis d'Ænée, dit ces mots,
Quo non præstantior alter
Æere ciere viros, martemque accendere cantu.[e]
Et peu apprés.
Et lituo pugnas insignis obibat, et hasta.[f]
Le bruict de tous lesdicts instruments, sert de signes & advertissements aux soldats, pour desloger, marcher, se retirer: & à la rencontre de l'ennemy leur donne cœur, hardiesse, & courage d'assaillir, & se deffendre virilement & vigoureusement. Or pourroient les gens de guerres marcher confusément & sans ordre cause qu'ils seroient en peril d'estre renversés & deffaicts, pourquoy nosdicts françois, ont advisé de faire marcher les rencs et jougs des escouades avec certaines mesures.
Capriol.
Comment cela.
Arbeau.
Vous estes musicien, & scavés bien que c'est des mesures, du temps, les unes sont binaires, les aultres sont ternaires, & que de toutes ces deux sortes de temps il en y à de pesantes, de moyennes, & de concitées.
Capriol.
Cela est vray.
Arbeau.
Vous me confesserés que si trois hommes se promenoient & marchoient ensemble, & chacun deulx vouloit aller à part selon l'une des trois diversités ils ne s'accorderoient pas: car il fauldroit que tous trois marchassent, ou vittement, ou bellement, ou mediocrement.
Capriol.
Il n'y à point de doubte.
Arbeau.
C'est pourquoy, en la marche de la guerre, le françois à faict servir le tambour pour tenir la mesure, suivant laquelle les soldats doibvent marcher. combien que la plus grand part des soldats n'y sont guieres bien exercés, non plus qu'en tout le reste de l'art militaire, mais pour cela je ne laisseray d'en escripre les modes.
La mesure & battement du tambour, contient huict minimes blanches, desquelles les cinq premieres sont battues & frappées scavoir les quatre premieres chacune d'un coup de baston, seul & la cinquieme des deux battons tout ensemble, & les trois aultres sont teues & retenues, sans estre frappées.
Tan | tan | tan | tan | tan. |
Pendant le son & battement de ces cinq blanches et trois souspirs le soldat faict une passée, c'est a dire, il passe & extend ses deux jambes tellement que sur la premiere notte, il pose & assiet son pied gaulche, & durant les trois aultres nottes, il leve le pied droict, pour le poser & asseoir sur la cinquieme notte, & durant les trois souspirs qui equipolent a trois nottes, il releve son pied gaulche pour recommencer une aultre passée comme auparavant: Et ainsi consequemment tant que le chemin dure en sorte qu'en deux mil cinq cents battements de tambour le soldat marche la longueur d'une lieue.
Capriol.
Pourquoy faictes vous marcher le pied gauche le premier?
Arbeau.
Parce que la plus grand part des hommes sont droictiers, & que le pied gaulche est le plus foible, & s'il advenoit que le pied gaulche vacilast par quelque inconvenient, le pied droict seroit incontinent prest pour le soulager.
Capriol.
Il me semble qu'une passée, en latin passus est dicte de l'expansion des deux bras, & non des deux pieds,
Arbeau.
Regardés bien & treuverés en le mesurant que la passée des deux pieds est de mesme longueur, que l'expansion ou extension des deux bras, que les geometriens estiment estre de cinq pieds
Capriol.
Vous forcomptés vous point, de dire qu'il fault pour une lieue marcher deux mil cinq cents battements de tambour car la lieue ne tient que deux mil passées qui font deux mil battements de tambour à prendre comme vous dictes, à chacun battement de tambour une passée.
Arbeau.
Une seule passées, tient veritablement cinq pieds, & en fault deux mil pour la lieue, mais quant on faict soubs le tambour plusieurs passées l'une après l'aultre, chacune passées n'a que quatre pieds, d'aultant que le pied de la cadance de la premiere passée sert de position à la deuxieme & ainsi de passée en passée tellement que lesdictes passées ne contiennent chacune que quatre pieds, & par ainsi fault pour une lieue deux mil cinq cents passées, qui font deux mil longueurs de cinq pieds geometriques.
Capriol.
Je le comprends fort bien maintenant.
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