Capriol.
Je marcherois & dancerois maintenant fort bien [ce me semble] les passees militaires soubz les battements & mesures. Mais pourquoy est ce tambour accompaigné d'un ou deux flutteurs?
Arbeau.
Nous appellons le fifre une petite flutte traverse à six trouz, de laquelle usent les Allemands & Suysses, & d'aultant qu'elle est percee bien estroictement de la grosseur d'un boulet de pistolet, elle rend un son agu: aulcungs usent en lieu de fifre dudict flajol & fluttot nommé arigot, lequel selon sa petitesse à plus ou moings de trouz, les mieulx faits ont quatre trouz devant & deux derriere, & est leur son fort esclattant, & pourroit on les appeller petites Tibies, par ce que premierement on les faisoit de Tibies & jambes de Grues. Les joueurs desdicts tambour & fifre sont appellez du nom de leurs instruments, quant nous disons de deux soldats, que l'ung est le tambour & l'aultre le fifre de quelque Capitaine.
Capriol.
Y à-il certaine façon pour jouer du fifre ou arigot?
Arbeau.
Ceulx qui en sonnent jouent à plaisir, & leur suffit de tumber en cadance avec le son du tambour, toutesfois nous lisons que le ton Phrigien que les musiciens appellent le troisiesme ton, incite naturellement à colere, & d'iceluy usoient les Ludians allans en la guerre. L'hystoire rapporte que quand Thimothee en jouoit sur la Tibie, aussi tost Alexandre le Grand se levoit comme furieux & enragé de combatre. Bacchus grand Capitayne nommé Dionisius apprint ses soldats environnez des femmes de son camp à dancer & faire marches guerrieres au son du tambour & de la Tibie Phrigienne, & par ce moyen subjuga les Indois, car les Indois marchoient en foule & confusion avec cryz & hurlements, & partant furent perturbez & facilement mis en vaude-routte & vaincuz.
Capriol.
Donnez moy une tabulature du fifre ou arigot comme vous m'avez donné du tambour.
Arbeau.
Je vous ay dit que la musique du fifre ou arigot se compose au plaisir du joueur. Toutesfois je vous en donneray icy ung petit extraict que j'ay retiré de M. Ysaac Huguet Organiste, lequel l'extend sur son Espinette depuis C sol fa ut, ou B fa B my, jusques en E la: Et pour Basse-contre en lieu de tambour, il tient du poulce de la main gauche C fa ut, & du petit doigt l'octave en bas, lesquelz il touche par rechange, sçavoir l'octave en bas sur la premiere minime blanche, & C fa ut sur la cinquieme, tenant tousjours ferme le doigt demonstrant sur le G ut, qui faict l'accord parfaict d'une quinte avec ladicte octave en bas, & d'une quarte contre ledict C fa ut.
Capriol.
Il me semble [sauf vostre correction] que par les reigles de musique, ceste quarte n'est pas recevable pour servir en la Basse-contre.
Arbeau.
Vous le prenez fort bien, mais cela s'entend quand on veut faire chanter quatre partie avec les voix: mais en ce cas icy, il est question du son du tambour, lequel sert de Basse contre, & parce qu'il n'a poinct de phtongue & consistance, il est comme je vous ay dit à tous accords, & n'est pas mal faict que l'Espinette le represente en ces discords accordants, & avant que de vous en donner la Tabulature, vous vous sonviendrez qu'il y a deux manieres de flutter, l'une en tetant, l'aultre en rollant, au premier la langue du Joueur faict té té té, ou tere tere tere, & au second jeu rollé, la langue du Joueur faict relé relé relé: Je vous adverty de cecy, parce que la Tabulature que je vous veulx escripre doit estre fluttee en jeu tété, & non pas en jeu rollé.
Capriol.
Pour quelle raison la doit on plustost tétér, que rollér?
Arbeau.
Pour ce que la pronunciation du jeu teté est plus aigre & rude, & consequemment plus convenable au son guerrier, que n'est celle du jeu rollé.
Capriol.
Je suis bien aise d'avoir ceste tabulature, j'ay un petit arigot je m'essairay d'y jouer le contenu en icelle.
Arbeau.
Vous pourrés ampliffier ceste musique, à vostre plaisir & phantasie. Et si d'aventure vous presuposés que le tambour sonne par mesure ternaire, laquelle consiste de cinq minimes blanches & un souspir, vous vous pourrés ayder de la musique cy dessus en retranchant deux minimes blanches sur chacun battement tantost sur la fin des cadances, tantost sur le commencement, tantost sur le meillieu, tellement que la liaison n'en soit point corrompue.
Capriol.
Ceulx qui ont cognoissance de la musique, le peuvent faire facilement.
Arbeau.
Je vous en veulx donner une en mesure ternaire, dont vous userez sans avoir la peine de retrancher la susdicte si vous ne voulez, laquelle vous pourrez aussi amplifier tant qu'il vous plaira.
Capriol.
Puis qu'il vous plaist prendre ceste peine, vous m'obligerez.
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