Capriol.
Pourquoy y mect on ces souspirs? Que ne faict le tambour pour chacune passee les huict minimes blanches? quatre pour le pied gauche, & quatre pour le pied droict.
Arbeau.
Si le tambour n'usoit point de souspirs, les marches des soldats pourroient tumber en confusion car [comme je vous ay dit] lassiette du pied gauche doibt estre sur la premiere note, & lassiete du pied droit sur la cinquiéme, & si les huict nottes estoient toutes touchees, un soldat pourroit faire les assiettes de ses pieds sur aultres nottes que sur la premiere & cinquiéme: Ce qui n'advient en y colloquant des repos & souspirs, car battant ainsi il entend bien ladicte premiere notte, & ladicte cinquiéme.
Capriol.
Ne peult on faire des souspirs és battemens du tambour aultres qu'apres la cinquiéme notte?
Arbeau.
Le tambour des Suysses faict un souspir aprez la troisiéme notte, & les trois souspirs a la fin: mais tout revient à un car les assiettes des pieds se font tousjours sur la premiere & cinquiéme notte.
Colin | tan | plon | Colin | tan | plon |
Capriol.
Ces modes de marcher au son du tambour sont belles, quant elles sont bien observees.
Arbeau.
Elles se peuvent faire aultrement par ladicte mesure binaire en mettant seulement ung souspir aprez les cinq nottes minimes: & en ce cas le soldat pòse son pied gauche sur la premiere notte, puis son pied droit sur la troisieme notte, puis encor son pied gaulche sur la cinquiéme. Et au battement qui vient aprez, il faict lassiette de son pied droit sur la premiere notte, puis de son pied gaulche sur la troisieme notte, & encor de son pied droit sur la cinquieme, & ainsi continuant tant que le chemin dure.
Capriol.
A ce compte chacun battement de tambour emporteroit plus grand espace de chemin qu'il ne feroit en marchant par passees.
Arbeau.
C'est chose certaine: Car le premier battement, emporteroit sept pieds, & tous les aultres suyvants six pieds seullement, & par ce moyen le soldat chemineroit une lieue en mil six cents soixante six battements de tambour ou environ. Il seroit possible aussi de battre lesdictes cinq minimes blanches & un souspir, & les marcher & passer par mesure ternaire.
Soubz ladicte mesure ternaire le soldat poseroit lassiette de son pied gauche sur la premiere notte & puis lassiette de son pied droict, sur la quatrieme notte, & ainsi consequemment.
Capriol.
Ceste mesure ternaire est bien gentile, les passees y sont semblables comme au binaire, & si ny a qu'ung souspir & repos.
Arbeau.
Quant les guerriers approchent l'ennemy, ils se serrent plus estroictement, & doibvent bien observer leurs màrches comme je vous ay dit en asseant le gaulche sur la premiere nótte.
Capriol.
Si le soldat asseoit le pied droict sur ladicte premiere notte, tout ne reviendroit-il pas a ung?
Arbeau.
Non pas bonnement, par ce que [comme il est a presupposer] la plus part des soldats estants droictiers & marchans le pied gauche le premier, si aulcungs commenceoient par le droict & finissoient par le gauche, ils se hurteroient les espaules lors qu'ils sont serrez, & s'empescheroient, par ce que nous gettons l'espaule du cousté de lassiette du pied. Si donc un soldat commenceoit du pied gauche, son espaule yroit a gauche, & lespaule de celuy qui commenceroit du pied droit iroit a droit, & se viendroit à heurter. Ce que n'advient és marches semblables & de mesme pied ou les espaules vont undoyants d'ung cousté puis d'aultre sans se heurter ou empescher: ce que vous experimenterez facilement en vous promenant avec quelcung. C'est pourquoy le tambour faict aucunes fois une continuation de plusieurs battements joincts ensemble, affin que s'il y a de la confusion par transmutation de marches, les soldats la puissent reparer, & qu'ils se remettent tous aisément sur lassiette gauche, aprés qu'ils ont ouy le repos du souspir ou de trois souspirs: Et cela sert grandement à faire les evolutions.
Capriol.
Qu'est-ce à dire evolutions,
Arbeau.
Ce n'est pas nostre intention de traicter icy de l'art militaire: Si vous voulez sçavoir que c'est evolution, voiez le livre que Ællanus a escript à l'Empereur Adrian. Je vous diray seulement: qu'oultre les marches saltations & dances guerrieres cy dessus declarees: le tambour use d'une continuation de battements plus legiers & concitez par minimes noires, y entremeslant des coups de battons, frappez rudement, lesquels font un son comme si cestaient coups d'arquebuses, & ce quand les soldats approchent l'ennemy de prez: Et lors qu'ils se veullent joindre contre le bataillon de l'ennemy, les soldats se serrent les uns contre les autres, comme s'ils estoient tous d'une piece, & couchent leurs picques & sarisses, faisans d'icelles un rampart fort espais, & difficile à forcer & rompre.
Cependant le tambour sonne deux minimes noires continuees, qui font la mesure binaire legiere, du pied que les Poëtes appellent Pirrichie, & s'avanceans, tenans tousjours le pied gauche devant, & en font lassiette sur la premiere notte du Pirrichie. Et sur la deuxieme notte dudict Pirrichie, ils font lassiette du pied droict dernier, [2] & proche dudit pied gauche, comme pour s'en servir d'Arc bouttant. Et ainsi saultelotans & danceans, commencent le combat, comme si le tambour vouloit dire:
Dedans | dedans | dedans | dedans | dedans | dedans |
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