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Retour vers Le cothurne étroit

Oublier Clémence (2023)

En 2023, Zazie mode d'emploi a proposé de jouer avec le texte suivant :

Clémence n'est pas une héroïne de roman.

Pour imaginer son travail, dresser la liste des opérations transformant les cocons de bombyx en fil de soie prêt à tisser ? Asphyxier les vers dans un four à vapeur, retirer les cocons du four et les poser sur des plateaux où ils sèchent pendant trois mois, au cours desquels il faut les retourner régulièrement pour accélérer l'évaporation de l'eau, tirer ensuite les fils de soie des cocons en les jetant dans des bassines d'eau très chaude dans lesquelles on plonge les mains pour en tirer les filaments de soie de qualité supérieure, presser plusieurs de ces filaments ensemble pour obtenir un fil, bobiner ces fils pour en faire des écheveaux, préparer les fils pour les métiers à tisser.

Un travail extrêmement pénible, qui s'était déplacé des campagnes aux usines lyonnaises. Avec la puanteur des chrysalides en décomposition, l'eau brûlante, la bourre de soie dans l'air des ateliers dont les fenêtres étaient fermées pour protéger la coûteuse soie. Un métier de femme.

Michèle Audin, Oublier Clémence, Gallimard 2018.

Toutes les contributions sont visibles sur le site Zazipo. Les miennes sont également reproduites ci-dessous.


Quand ils sont tout neufs,
Qu'ils sortent de l'œuf,
Les cocons
Sont mis bien au sec
(Jamais par des mecs)
En flacons
Quand ils sont d'venus
Des billes menues
Des flocons
On passe au fourneau
Puis on jette à l'eau
Les cocons

Moi qui connais bien ces usages
J'leur adresse à tous un message :

Le temps fait tout dans cette affaire
Il y a cocon et cocon
Cocon d'un an, cocon grand-père,
Il y a cocon et cocon
Entre vous, plus de controverses,
Cocons caducs ou débutants,
Cocons de la dernière averse,
Cocons des neiges d'antan.
Cocons de la dernière averse,
Cocons des neiges d'antan.

    –*–*–*–

J'avais le plus beau mûrier
Du quartier,
J'avais le plus beau mûrier
Du quartier,
Et, pour les robes splendides
Des filles du monde entier,
J'élevais des chrysalides,
Le beau, le joli métier !

    –*–*–*–

« Chèr' Clémence, ont-ils dit, vous êtes bien des nôtres »
Lorsque je commençai à plonger dans leur bain.
Oui, sans doute, mais moi, je laisse fair' les autres,
Moi, je n'ai pas envie de me brûler les mains.

Le pluriel est précieux aux femm's et sitôt qu'on
Est plus de quatre on peut dévider des cocons.
« Bande à part » c'est un truc de mec, ça ne vaut rien,
Dans les noms des partants on n'verra pas le mien.

Dieu ! Que de procédés, d'étapes, de méthodes,
Que de complications pour préparer les vers !
Asphyxier, retourner, tirer, bobiner, tordre,
Pour un tel inventaire il faudrait un Prévert.

Le pluriel est précieux aux femm's et sitôt qu'on
Est plus de quatre on peut dévider des cocons.
« Bande à part » c'est un truc de mec, ça ne vaut rien,
Pousser des cris de loup ça ne fait pas de bien.

    –*–*–*–

Bouillir pour dévider, l'idée est excellente.
Moi, je dis sans mollir : je ne l'aurais pas eue.
Mais tous ceux qui l'avaient, pris d'une envie brûlante
De faire du profit, me sont tombés dessus.
Ils ont su me former et ma main chancelante
À présent sans erreur peut extraire la soie,
Avec un soupçon de réserve toutefois :
Bouillir pour dévider, d'accord, mais qu'on me gante,
D'accord, mais qu'on me gante.

D'après quatre chansons de Georges Brassens : Le temps ne fait rien à l'affaire, L'amandier, Le pluriel et Mourir pour des idées.


Patience, violence, démence, Clémence

Clémence n'est pas une étamine de milan, une vitamine de merlan, une mezzanine de verlan, une macédoine de chaman, une égoïne de walkman, une héroïne de roman. Pour réaligner son corail, pour égratigner son poitrail, pour embobiner son vitrail, pour déraciner son bétail, pour halluciner son cocktail, pour imaginer son travail, chasser la yourte, classer la caste, passer la sieste, cesser la peste, blesser la veste, dresser la liste des aérations renfermant, des libérations confirmant, des ulcérations déformant, des fédérations réformant, des générations informant, des opérations transformant les bourbons de saindoux, les bubons de jaloux, les flacons de cailloux, les pinçons de genoux, les tronçons de tripoux, les cocons de bombyx en miel de craie, en fuel de scie, en ail de mie, en mail de joie, en cil de proie, en fil de soie fat à glisser, plat à plisser, strict à froisser, quiet à pisser, net à crisser, prêt à tisser.

Le début du texte a été traité selon une variante de la méthode Caradec. Chaque mot du texte donne naissance à une suite de cinq mots comme suit :


Perdre Clémence de vue

Clémence ne rappelle guère une héroïne littéraire.

Je me représente quelle tâche elle réalise, je récapitule le répertoire technique que nécessite cette métamorphose de chrysalide devenue fibre de soie susceptible de tissage. Elle asphyxie le minuscule insecte encore embryonnaire (cette étape mortifère utilise une étuve de haute température), le retire de cette enceinte torride, le dépose de manière que chaque plaque subisse le trimestre de séchage obligatoire (source de fatigue supplémentaire : elle retourne le groupe chaque semaine, ce geste accélère le drainage), ensuite elle charge une bassine de saumure bouillante, jette le cylindre de soie, plonge une phalange chargée de le prendre, le défaire, extraire une fibre de catégorie supérieure, que notre ouvrière presse comme une mèche, bobine, enroule, pelote, prépare telle que le demande une machine de tissage.

Une corvée écrasante, harassante, une industrie textile naguère typique de notre campagne, délocalisée, devenue usine lyonnaise. Pleine de pestilence de chrysalide putride, de flotte surchauffée, une atmosphère de manufacture emplie de bourre de soie, fenêtre fermée de crainte de perdre le moindre atome de précieuse marchandise. Une besogne de femme.

Michèle Audine, Oublie Clémence (Gallimare, 2016)

Chaque terme possède une lettre E finale. Cette contrainte « féminine » rappelle le rôle de femme que raconte le texte.


Clémence Arvers

Clémence a son secret, sa vie est un mystère.
Son art presque éternel en Chine fut conçu.
Son mal, son désespoir, elle a bien dû les taire :
Celles pour qui c'est fait n'en ont jamais rien su.

Hélas ! dans un passé cruel inaperçu,
Toujours escamotée et toujours solitaire
Elle aura jusqu'au bout fait son temps sur la terre,
N'osant rien demander et n'ayant rien reçu.

Quoiqu'elle ait de grands yeux, une peau douce et tendre,
Elle a brûlé ses mains, pauvrette, sans entendre
Un murmure d'amour célébrer ses appas.

À l'austère devoir pieusement fidèle,
Elle disait, tournant des vers trop beaux pour elle :
« C'est un métier de femme » et ne se plaignait pas.

Parodie du Sonnet imité de l'italien de Félix Arvers (1806-1850).


Clémence à revers

Clémence ne protège pas une héroïne de roman.

Pour fermer son travail, déplacer la liste des opérations tissant les cocons de bombyx en fil de soie supérieur à préparer ? Faire les vers dans un four à vapeur, bobiner les cocons du four et les obtenir sur des plateaux où ils pressent pendant trois mois, au cours desquels il faut les tirer régulièrement pour plonger l'évaporation de l'eau, jeter ensuite les fils de soie des cocons en les tirant dans des bassines d'eau très pénibles dans lesquelles on accélère les mains pour en retourner les filaments de soie de qualité lyonnaise, sécher plusieurs de ces filaments ensemble pour poser un fil, retirer ces fils pour en asphyxier des écheveaux, tisser les fils pour les métiers à transformer.

Un travail extrêmement brûlant, qui s'était dressé des campagnes aux usines coûteuses. Avec la puanteur des chrysalides en décomposition, l'eau prête, la bourre de soie dans l'air des ateliers dont les fenêtres étaient imaginées pour être la chaude soie. Un métier de femme.

Les verbes sont les mêmes que dans l'original mais apparaissent dans l'ordre inverse. Les adjectifs sont ceux de l'original après une permutation circulaire de deux positions.


Traiter Clémence par le mépris

Parodie de la scène d'ouverture du film Le Mépris de Jean-Luc Godard (1930-2022).


Soie ? Nul trac !

Clarence n'est en rien une star littéraire.

Reconstituer son art en listant toutes les actions sur les cocons séricicoles créant un toron en soie utile à tisser ? Cuire les insectes en une enceinte saturée en eau, en retirer les cocons et les étaler sur une assiette où ils restent au sec toute une saison, en les retournant sans cesse car ça entretient l'aération, tirer ensuite les torons en soie en lançant les cocons en une casserole où l'eau est cuisante, se rôtir les articulations en sélectionnant les torons classés en tête, les lier en une seule tresse, enrouler ces tresses sur une canette, concocter un rouleau à allouer au canut.

Un artisanat très cruel, né en terre rurale et relocalisé ensuite à l'usine centrale. Les insectes rances suscitant un relent constant, l'eau cuisante, l'air saturé en soie concassée, les ateliers où les lucarnes restaient closes, sécurisant la coûteuse soie. Un rôle centré sur les nanas.

Nicole Autin, Renoncer à Clarence, Seuil 301.

Seules les onze lettres les plus fréquentes en français (ESARTINULOC) sont utilisées. Le titre contient une fois chacune des onze lettres.


Clémence prend la soie âcre des vers à soie,
Presse le fil des vers en un fil plus solide.
Cocon après cocon, la femme prend et presse.
Clémence est, sans bla-bla, une solide femme.

Chaque paire de lignes possède un mot en commun, y compris chaque ligne avec elle-même (donc chaque ligne contient un mot répété). Une structure similaire est utilisée dans le poème Shéhérazade et détaillée dans sa page de commentaire.


Clémence n'est pas une spécialiste du poulet.

Pour imaginer son trajet, dresser la liste des raisons qui ont pu le pousser à traverser la route ? Étouffer dans un poulailler saturé de vapeur et noir comme un four, rester posé sur un plateau où l'on se dessèche pendant des mois, sans pouvoir se retourner, se faire jeter dans une bassine d'eau très chaude où des mains viennent vous arracher les plumes soyeuses et le duvet de qualité supérieure, se retrouver pressé, extrudé, bobiné, préparé pour les machines à viande industrielle.

Une vie extrêmement pénible, depuis que l'élevage s'était déplacé des campagnes aux fermes-usines de la banlieue lyonnaise. Avec la puanteur des fientes, l'eau souillée, la poussière dans l'air des hangars dont les fenêtres restaient fermées pour éviter toute contamination. Un maigre espoir de l'autre côté de la route.

Michèle Audin, Oublier toute clémence, Gallina 2018.

Réponse possible à la célèbre devinette : « Pourquoi le poulet a-t-il traversé la route ? »


Oratorio pour Clémence

Clémence n'est pas une histoire de satire.

Pour imaginer sa tranche de vie, dresser le lever de rideau des opérettes transformant les comédies de bonimenteurs en figure de soliloque prête pour une tirade ? Asphyxier les versets dans un four de vaudeville, retirer les cintres de la fosse d'orchestre et les poser sur des planches où ils sèchent pendant trois monologues, à cour, lesquels il faut répéter régulièrement pour accélérer l'exode du drame cornélien, tirer ensuite les figurants du sociodrame des comédies en les jetant dans des baignoires d'écriture dramatique très chaude dans lesquelles on plonge les machineries pour en tirer les figures de rhétorique d'un sociolecte de quiproquo supérieur, presser plusieurs de ces fictions ensemble pour obtenir une focalisation, bobiner ces figures pour en faire des écrans paranoïaques, préparer les figurants pour les métaphores à théâtraliser.

Une trame dramatique extrêmement pathétique, qui s'était déplacé des cages de scène aux variétés ludiques. Avec le quatrième mur des chorégraphies en décor, l'écriteau brechtien, le bruitage du souffleur dans l'allitération des assonances dont les feux de la rampe étaient féeriques pour protéger la critique sociale. Un métathéâtre de fatalité.

S±3 thématique. Les substantifs, et certains adjectifs et verbes, sont remplacés par des termes alphabétiquement proches tirés du glossaire du théâtre d'André G. Bourassa.


Nicolas Graner, 2023, Licence Art Libre