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Retour vers Le cothurne étroit

Il se penche (2020)

En 2020, Zazie mode d'emploi a proposé de jouer avec le texte suivant :

Il se penche il voudrait attraper sa valise
que convoitait c'est sûr une horde d'escrocs
il se penche et alors à sa grande surprise
il ne trouve aussi sec qu'un sac de vieux fayots

On vous fait devenir une orde marchandise
qui se plaît à flouer de pauvres provinciaux
de la mort on vous greffe une orde bâtardise
la mite a grignoté tissus os et rideaux

Devant la boue urbaine on retrousse sa cotte
le lâche peut arguer de sa mine pâlotte
lorsqu'il voit la gadoue il cherche le purin

On regrette à la fin les agrestes bicoques
on mettait sans façon ses plus infectes loques
l'écu de vair ou d'or ne dure qu'un matin

L'un des Cent mille milliards de poèmes de Raymond Queneau, paru chez Gallimard en juillet 1961.

Toutes les contributions sont visibles sur le site Zazipo. Les miennes sont également reproduites ci-dessous.


Il se penche il croit prendre un grand sac à sa guise
que veut pour lui c'est sûr un tas de gens pas beaux
il se penche et d'un coup vient le choc de la crise
il ne trouve à ses pieds qu'un sac de pois en pots

On fait de vous la came un peu trop orde et grise
qui se plaît de son bourg à rire au nez des sots
de la mort on vous greffe une orde ente et vous brise
quand la mite a tout pris et les lés et les os

Face à la boue en ville on tient bien haut sa cotte
le lâche eût dit en vain que sa mine est hors cote
lorsqu'il voit de la bourbe il cherche un suc plus fin

On veut voir à la fin le vieux mas plein de cloques
on porte un jour ou l'autre un vieux frac tout en loques
la targe en or ou vair voit bien trop tôt sa fin

L'un des cent fois cent fois cent fois cent fois cent fois cent fois cent lais de R.Q. mis en mots d'un seul son.

Mots monosyllabiques.


Il se penche il voudrait que l'autre sympathise
que convoitait c'est sûr la horde des jumeaux
il se penche et alors voilà qui traumatise
il ne trouve aussi sec qu'un sac de vrais normaux

On vous fait devenir une orde heure exeuquise
qui se plaît à flouer de pauvres oripeaux
de la mort on vous greffe un nu sur la banquise
la mite a grignoté tissus os et tréteaux

Devant la boue urbaine on trousse sa bouillotte
le lâche peut arguer que sa mine s'y frotte
lorsqu'il voit la gadoue il cherche adultérin

On regrette à la fin qu'agreste tu débloques
on mettait sans façon si tu m'emberlucoques
l'écu de vair ou d'or sont-ils le même vin ?

Quand un vers est tiré du sonnet-souche numéro N de Queneau, on a ici remplacé ses derniers mots par ceux du vers de même rang du sonnet-souche N+1 (ou du sonnet 1 pour N=10).


Je serais triste comme un saule
si la valise de fayots
que je porte sur mon épaule
devenait la proie des escrocs
Alors de l'orde marchandise
il me faudrait faire mon deuil
La mort est une bâtardise
qui grignotera mon cercueil
La mort est une bâtardise
qui grignotera mon cercueil

S'il faut aller au cimetière
dans la gadoue et le purin
ma lâche mine buissonnière
quittera la vie un matin
Tant pis si d'agrestes bicoques
croient le vair et l'or fous à lier
Les croqu'-morts en infectes loques
prendront sans façon l'écolier
Les croqu'-morts en infectes loques
prendront sans façon l'écolier

Parodie de la chanson Le testament de Georges Brassens.


Il a voulu courbé ramasser la valise
convoitée une fois par un vrai gang d'escrocs
il a courbé son dos puis vu poindre la crise
car c'est en vérité un sac pour haricots

Vous serez nul à chier bon pour une reprise
on se rit à flouer la province esprits sots
car la faucheuse voit loin si on l'analyse
la mouche aura bouffé tissus voilages os

Par la cité boueuse on range la capote
un lâche attirera par sa mine falote
s'il voit là une bouse il aspire au festin

On se plaint à la fin d'une agreste isba toc
on passe pas gêné son plus cochonné froc
un écu fin doré périt au frais matin

Ce sonnet peut être entièrement écrit avec des symboles chimiques :

I La V O U Lu Co U Rb Er Am As S Er La V Al I Se
Co N V O I Te Eu Ne F O I S Pa Ru N V Ra I Ga N Gd Es Cr O Cs
I La C O U Rb Es O Nd O S Pu I S V U Po I Nd Re La Cr I Se
C Ar Ce S Te N V Er I Te U N S Ac Po U Rh Ar I Co Ts

V O U S Se Re Zn U La C H I Er B O N Po U Ru Ne Re Pr I Se
O N S Er I Ta Fl O U Er La Pr O V In Ce Es Pr I Ts S O Ts
C Ar La F Au C He U Se V O I Tl O In Si O N La N Al Y Se
La Mo U C He Au Ra B O U F Fe Ti S S U S V O I La Ge S Os

P Ar La C I Te B O U Eu Se O N Ra N Ge La Ca P O Te
U N La C He At Ti Re Ra P Ar S Am I Ne F Al O Te
Si Lv O I Tl Au Ne B O U Se I La S P I Re Au Fe S Ti N

O N Se P La In Ta La F I Nd U Ne Ag Re S Te I Sb At O C
O N P As Se P As Ge Ne S O Np Lu S Co C H O N Ne Fr O C
U Ne Cu F I Nd O Re P Er I Ta U F Ra I Sm At In


Qu'attrape-t-il à sa surprise ?
La valise.
Que grignotent les provinciaux ?
Que des os.
Comment est la boueuse cotte ?
Bien pâlotte.

Regrettant l'agreste biscotte,
dans la gadoue et le purin
il fait durer jusqu'au matin
une valise d'os pâlotte.

Ce poème est un Ovillejo, forme fixe popularisée par Miguel de Cervantes. On en trouvera d'autres exemples sur la page Preguntas.


Ses purs ongles très haut attrapant sa valise,
L'Angoisse, ce minuit, soutient, horde d'escrocs,
Maint rêve vespéral, à sa grande surprise,
Que ne recueille pas un sac de vieux fayots.

Sur les crédences, oh ! une orde marchandise,
Aboli bibelot de pauvres provinciaux
(Car le Maître est greffé d'une orde bâtardise
Avec ces seuls objets : tissus, os et rideaux).

Mais proche la croisée on retrousse sa cotte :
Agonisant selon une mine pâlotte,
Des licornes ruant il cherche le purin.

Elle, défunte nue en d'agrestes bicoques
Que dans l'oubli fermé par ses infectes loques
De scintillations, ne dure qu'un matin.

Le premier hémistiche de chaque vers vient du sonnet en X de Stéphane Mallarmé, le deuxième du sonnet de Queneau, avec quelques ajustements pour donner un semblant de cohérence.


Je me penche, je pense atteindre une valise
que convoite une horde, infâme société.
Je penche davantage : incroyable surprise,
je ne retrouve que panière de séné.

Le peuple te déclare une orde marchandise
que désire, floué, quelque pauvre exilé,
le cadavre te greffe une orde bâtardise,
une mite grignote étoffe, crâne, lé.

Cerné de boue urbaine, enlève cette cotte !
Le lâche se découvre une mine pâlotte,
toute gadoue appelle une autre impureté.

Je regrette de perdre une agreste bicoque,
je me montre accoutré de quelque infecte loque.
Le cartouche doré se trouve vite usé.

Tous les mots se terminent par un E. Une difficulté est de respecter les règles de la poésie classique : césures classiques, alternance de rimes féminines et masculines, absence d'hiatus.


Il se penche pour attraper ma valise
que kife un million d'outlaws.
Bigre, horde atone et grise,
enjambez un sac de vieux fayots !

Soyez une orde marchandise
qui floue joliment les Wisigoths !
Épave, un flanc abattu par bêtise,
Kermit va ronger les rideaux.

Dans le shit new-yorkais, ami, retroussez votre cotte.
Vieux lâche, on a la figure pâlotte...
Dans quelle fange je m'imbibe du purin !

Je regrettais certaine phobie de bicoques.
On mange aux plus infects woks.
Voyez, le vair laid ramollit à neuf heures du matin.

Chaque strophe est un panscrabblogramme, texte composé avec les 102 jetons d'un jeu de Scrabble français (100 lettres et 2 jokers).


Il penche posément pour prendre sa valise
convoitée instamment par plusieurs purs salauds
il penche plus profond, provoquant sa surprise
des fayots gisent là, nourriture pour veaux

Chacun constituera de l'orde paillardise
et flouera gentiment les pauvres provinciaux
la mort ne nourrira nulle orde vantardise
la mite mordilla moult os, quelques rideaux

Devant la merde odieuse on repousse son vote
ce couard fabulateur fait la mine pâlotte
accablé de gadoue il kife le purin

Agreste bicoque, huis que regrettent tous vioques
arrivons carrément couverts d'infectes loques
armes, blasons, cimiers crèvent dès le matin

Dans chaque vers, les mots sont dans l'ordre alphabétique.


Il fléchit il voudrait attraper une alize
que convoitait coup dur une horde d'agneaux
il fléchit et bientôt vocifère en kirghize
il ne trouve illico qu'un bac de vieux pruneaux

On te fait devenir une orde mycorhize
qui joue à bien flouer de piteux provinciaux
de la mort on te greffe une ordinaire brize
la mite a grignoté textile aulx et rideaux

Devant la boue urbaine on relève la cotte
le lâche peut arguer d'une mine pâlotte
quand il voit la gadoue il cherche le purin

On regrette à la fin quelque inculte bicoque
on mettait bien peinard une autre infecte loque
l'écu de vair ou d'or ne dure qu'un matin

Vocabulaire

alize ou alise : fruit de l'alisier
aulx : pluriel de ail
brize : plante graminée
mycorhize : symbiose entre les racines d'une plante et un champignon

Lipogramme en S respectant autant que possible les rimes de l'original.


Il se pêche il voit râper sa vie
que citait c'est sûr une ode d'Éros
il se pêche et alors à sa rade sûre
il ne rue au sec qu'un sac de vie fat

On vous fit venir un or mardi
que plat à four de pavés vicia
de l'or Ô vous GEF une ode tarde
la mie à gigot sus os et idéaux

Et là où urine on tousse à côté
le lac eut gué d'à mi-patte
où il vit l'ado il herche le pin

On grée à la fin les âgées biques
on tait sans con ses pus nets loués
l'écu d'air ou d'or ne dure qu'un an

Les mots sont abrégés en ne conservant qu'une partie de leurs lettres, dans l'ordre. Selon Michelle Grangaud cela s'appelle un « avion » (qui est une abréviation d'« abréviation »).


Il se penche il voudrait attraper sa valise
que convoitait c'est sûr une horde d'escrocs
il se penche et alors à sa grande surprise
il ne trouve aussi sec qu'un sac de vieux fayots

On vous fait devenir une orde marchandise
qui se plaît à flouer de pauvres provinciaux
de la mort on vous greffe une orde bâtardise
la mite a grignoté tissus os et rideaux

Devant la fange urbaine on retrousse sa cotte
le lâche prétendrait que sa tronche est pâlotte
lorsqu'il sent l'immondice il cherche le purin

On regrette à la fin les agrestes bicoques
on mettait sans façon ses plus infectes loques
l'écu de vair ou d'or ne dure qu'un matin

Ce sonnet se compose de 220 voyelles et 284 consonnes, ce qui en fait un sonnet amical. Pour plus d'explications voir Une douce chose et sa page de commentaire. L'original de Queneau étant déjà presque amical (222 voyelles et 271 consonnes), il a suffi de retoucher une seule strophe pour obtenir les bons comptes.


Il rote un sac

Il s'incline il saisit en un instant sa caisse
elle attire c'est sûr canailles et escrocs
il s'incline et alors une crise le stresse
il lui reste aussi sec un sac à risottos

On te laisse sentir une sale tristesse
on rit tout en roulant les roturiers rétros
l'assassin sait enter une scélératesse
l'insecte a suçoté tissus os et tricots

La crotte à la cité nous retrousse la cotte
le loser ose louer sa contenance sotte
s'il constate un étron il scrute le crottin

On s'attriste en croisant les constructions rouillées
on s'accoutrait à l'aise en ses tenues souillées
l'écu solaire en or au soir cruel s'éteint

Seules les onze lettres les plus fréquentes en français (ESARTINULOC) sont utilisées. Le titre contient une fois chacune des onze lettres.


Inclinaison ciblant personnelle valise
tentant assurément détestables escrocs
génuflexion créant incroyable surprise
substitution minable accumulant fayots

Transmutation subie infâme marchandise
apprécie entuber indigents provinciaux
fatale opération transplante bâtardise
insecte grignotant diversement rideaux

Boueuse urbanité précautionneuse cotte
lâche argumentation contenance pâlotte
gadouilleuse vision revendiquant purin

Regretter ultimo campagnardes bicoques
vêtir spontanément nauséabondes loques
polychromes écus disparaîtraient matin

Chaque vers comprend 4 mots et 35 lettres. Les mots-rimes originaux sont conservés et les césures sont respectées.


Atelier d'écriture

— C'est bon, vous avez tous terminé ?

— Quoi, déjà ? Mais je n'en suis qu'au septième vers.

— Comment ça, au septième ? J'avais demandé d'écrire un quatrain.

— Ah bon, il ne fallait pas faire tout un sonnet ?

— Mais non, je vous ai lu des sonnets pour vous montrer comment fonctionne le livre de Queneau, mais nous on a dit qu'on ferait juste un quatrain.

— Ah, j'avais pas compris. Alors c'est bon, j'ai terminé.

— Tu veux nous lire ton premier vers ?

— C'est moi qui dois commencer ?

— Seulement si tu veux, il n'y a pas d'obligation tu sais.

— Alors je préfère passer après.

— Moi je veux bien lire mon premier vers, mais il n'est vraiment pas terrible. Je suis sûr qu'il y en a d'autres qui ont fait beaucoup mieux.

— Ah non, tu connais la règle : on ne se vante pas ! Tu nous lis juste ce que tu as écrit, sans commentaires, et après si tu veux on en discute tous ensemble.

— Bon, bon, d'accord. Alors voilà : « Il se penche pour attraper sa valise. »

— Oui, c'est très bien. Juste un détail, il manque une syllabe.

— Comment ça, il manque une syllabe ?

— Oui, si j'ai bien entendu il n'y en a que onze.

— Mais non : il — se — pen — cheu — pour — a — ttra — per — sa — va — li — zeu, ça fait bien douze.

— Ah non, la dernière syllabe c'est un e muet, elle ne compte pas.

— Comment ça, elle ne compte pas ? Tu nous as dit que les e muets comptaient sauf s'ils étaient suivis par une voyelle.

— Pas tout à fait. J'ai dit que les e muets comptaient seulement s'ils étaient suivis par une consonne.

— Ben oui, c'est la même chose.

— Pas vraiment. Ici, « lise » n'est suivi de rien du tout, donc il n'est pas suivi d'une consonne.

— Mais c'est parce que tu m'as fait lire seulement le premier vers. Mon deuxième vers, il commence par une consonne.

— Non non, ça ne marche pas comme ça. On compte chaque vers séparément. Un e muet en fin de vers, ça ne compte jamais.

— Tu aurais pu le dire avant ! Je ne pouvais pas deviner.

— Désolé si je n'ai pas été assez clair. Mais c'est pas grave, on peut modifier un tout petit peu ton vers pour ajouter une syllabe. Qui a une idée ?

— On pourrait mettre « une » à la place de « sa » : « Il se penche pour attraper une valise. »

— Je croyais qu'il fallait ajouter une syllabe ? « Une » ça ne fait qu'une seule syllabe, comme « sa ».

— Mais non, le e muet de « une » il compte, puisqu'il est suivi de « valise » qui est une consonne.

— Valise, c'est pas une consonne, c'est un bagage.

— Ah c'est malin. Tu sais très bien ce que je veux dire : valise, ça commence par une consonne, donc « une » se prononce « u — neu » en deux syllabes.

— OK alors c'est bon, on a un alexandrin : « Il se pen-cheu pour attraper u-neu valise ». On passe à la suite ?

— Attends, c'est pas encore tout à fait un alexandrin.

— Comment ça, pas tout à fait ? Il y a douze syllabes ou il n'y en a pas douze ?

— Oui, il y a bien douze syllabes, mais ça ne suffit pas pour en faire un alexandrin. Vous vous rappelez ce que je vous ai expliqué, après le compte des syllabes ?

— Moi je sais : il faut une césure.

— C'est ça. Une césure entre la sixième et la septième syllabe. Dans ton vers, là, il n'y en a pas, ça tombe au milieu du mot « attraper ».

— On est vraiment obligé de mettre une césure à tous les vers ?

— On n'est jamais obligé de rien. Chacun fait ce qu'il veut. Mais là, pour cet exercice, la consigne c'était de respecter les règles des vers classiques, comme Queneau. Alors oui, il faut une césure dans chaque vers.

— OK, j'ai une idée : si on ajoute une syllabe dans la première moitié du vers et qu'on en enlève une dans la deuxième moitié, ça va décaler le mot « attraper » et il y aura une césure juste avant.

— Mais oui, très bonne idée. Qu'est-ce que tu proposes ?

— Au début on pourrait remplacer « pour » par « afin », et à la fin on remet « sa » à la place de « une ». Ça donne : « Il se penche afin d'attraper sa valise ».

— Pas de chance, il manque encore une syllabe.

— Comment ça ? Ça ne se peut pas, j'en ai ajouté une et enlevé une.

— Oui, mais maintenant « penche » est suivi d'une voyelle, donc il ne compte plus que pour une syllabe et pas deux.

— Ah merde, c'est trop compliqué ton truc. Alors il faut encore en rajouter une ?

— Oui. Qu'est-ce que tu proposes ?

— Je sais pas... On pourrait remplacer « afin » par « dans le but », ça fait trois syllabes au lieu de deux : « Il se penche dans le but d'attraper sa valise ».

— Ce coup-ci il y a une syllabe de trop. Tu as remis une consonne après « penche », donc il compte de nouveau pour deux.

— Mais c'est insortable cette histoire ! Comment tu veux qu'on arrive à faire à la fois douze syllabes et une césure ? C'est pas possible !

— Ils écrivaient vraiment comme ça, les poètes, avant ? C'étaient des malades !

— Oui, et pas seulement les poètes. Pense aux tragédies classiques en vers : des milliers d'alexandrins qui respectaient tous ces règles, plus encore d'autres règles dont je ne vous ai même pas parlé. Et en plus ça racontait une vraie histoire avec une intrigue, des grands sentiments et tout ça.

— Ils étaient vraiment malades, je te dis.

— Bon, si on revenait à notre exercice ? On n'en est qu'au premier vers et il n'a toujours pas les bonnes syllabes.

— Attendez, on va examiner ça logiquement, plutôt que d'essayer des trucs au hasard. Pour la deuxième moitié du vers, on peut garder « attraper sa valise », c'est pas mal. Si on garde « il se penche » pour commencer, ça occupe trois ou quatre syllabes de la première moitié, selon que c'est suivi d'une voyelle ou d'une consonne. Comme on doit arriver à six syllabes pour cette première moitié, on a le choix pour compléter : soit trois syllabes qui commencent par une voyelle, soit deux qui commencent par une consonne. Vous comprenez ?

— Moi j'ai rien compris du tout. Ça me prend la tête tes histoires. Je suis venu ici pour faire de la poésie, pas des maths.

— Tu étais quand même prévenu que c'était de la poésie à contraintes, non ?

— Oui, mais si j'avais su que ça voulait dire faire des maths, je serais allé dans l'autre atelier. Ils ont l'air de bien rigoler, dans l'autre salle.

— Bon, tu as raison, on va pas passer toute la soirée sur ce vers. Je vous donne une solution possible qui respecte les règles et après on continue, d'accord ?

— OK, c'est quoi ta solution ?

— Je propose : « il se penche il voudrait attraper sa valise ».

— Ça veut rien dire : « il se penche il voudrait ».

— Mais si : il se penche, virgule, il voudrait attraper...

— Ah bon, il y a une virgule ?

— Oui mais elle est sous-entendue. On a dit qu'on écrivait dans le style de Queneau, et Queneau il ne met pas de ponctuation dans ses poèmes.

— Jamais ? Pourquoi il n'en met pas ?

— Je ne sais pas. Pour faire moderne, je suppose. Il respecte les règles de la poésie classique mais en même temps il joue avec les codes d'une façon très contemporaine. C'est comme ça, c'est son style.

— C'est vraiment un tordu, ce type. Enfin bon, c'est pas mon problème. On continue ?

— OK, qui veut nous lire son deuxième vers ?... Personne ?...

— Moi je veux bien, mais du coup je ne suis plus sûr que ça respecte bien toutes les règles.

— On va voir ça. Lis-le nous déjà comme tu l'as écrit.

— « Qu'une bande de voleurs voulait lui voler. »

— Bravo, c'est très bien. Il y a juste quelques détails à corriger. Déjà, on avait dit que ça devait rimer en « o », tu te rappelles ?

— Ah bon, c'était obligé ? Je croyais que c'était juste comme ça dans le livre de Queneau mais qu'on pouvait faire ce qu'on voulait.

— Oui, oui, tu as raison, on peut faire ce qu'on veut. Chacun fait ce qui lui plaît, pas de problème. Tout ce qui compte c'est qu'on se fasse plaisir en écrivant de la poésie. Et puis il est l'heure, on va aller retrouver les autres et écouter ce qu'ils ont à nous lire. Merci pour votre participation, c'était vraiment super.


« Ils sont partis », informe Vincent avec soulagement. « Vous irez sous peu. Ils vous avaient suivi, vraisemblablement. Ils sont parfois insistants. Vous avez semé votre inspecteur ! Soyez prudent. »

Il voyage apparemment seul. Vincent ignore simplement pourquoi il vagabonde ainsi, sans visa international, sans passeport.

Il va à sa voiture. Il se penche, il voudrait attraper sa valise. Impossible. Ses poignets immobilisés, verrouillés, attachés, sont vite inopérants. Ses pieds, impuissants, voguent aussi sans vie.

« Ils sont partis ? » ironise, voix acerbe, son vainqueur. Ils sont partout. Ils vont accaparer sa vie.

Les initiales des mots sont successivement I, S, P, I, V, A, S, V comme dans le premier vers du sonnet original.


Renversé, désirer attraper bric-à-brac
risquerait attirer trente-quatre larrons.
Renversé, retrouver — remarquable surprise ! —
rare jarre arriérée. Horreur : marrons pourris !

Proscrit, redeviendrez malpropre fourniture ;
rigolard, roulerez étrangers dérisoires ;
carrément enterré, bouturerez torture ;
grignoterez brocarts, vertèbres, draperies.

Trottoir terreux cracra, retroussez marinière.
Froussard pourrait arguer : tournure perturbée.
Repérant terrain rustre, espèrerait ordure.

Regrettant, atterré, propriétés rurales,
revêtirez, frondeur, horrible garde-robe.
Richardes armoiries mourront — arrêt terrible !

En hommage à Robert Rapilly, chaque mot de ce poème contient au moins deux R.


Penché parmi sa horde il croque des fayots.
Floué, face à la mort qui marchande et grignote
une mine boueuse et pâle de gadoue,
l'écu de loques dure autant qu'on le regrette.
Queneau croque sa face au crayon mine dure.

Récapitul salonien : le cinquième vers reprend un mot de chacun des quatre autres vers (croque, face, mine, dure). De plus, chacun de ces quatre vers récapitule de la même façon une strophe du poème original.


Conseils aux voyageurs

Pour préserver votre colonne vertébrale, ne vous penchez pas quand vous attrapez une lourde valise. Pliez les jambes en conservant le dos bien droit.

Ne laissez pas vos bagages sans surveillance. Ils pourraient tenter des passants peu scrupuleux.

Préparez soigneusement votre voyage. On n'est jamais à l'abri d'une surprise, pas toujours agréable.

Lorsque vous consommez des aliments locaux, vérifiez attentivement leurs conditions de conservation. Privilégiez les légumes secs chaque fois que possible.

Méfiez-vous des offres trop alléchantes des tours operators. Rappelez-vous le dicton : « quand c'est gratuit, c'est vous le produit ».

Soyez vigilants lorsque vous visitez une grande ville pour la première fois. Les habitants cherchent souvent à tirer avantage de l'ignorance des visiteurs peu familiers de leur cité.

Si vous souscrivez un contrat assistance-rapatriement, prenez garde aux clauses abusives qui pourraient vous être imposées, notamment en cas de décès à l'étranger.

Avant de partir, pensez à garnir vos placards d'un produit anti-mites efficace. Vous vous éviterez des désagréments à votre retour.

Dans les villes ne disposant pas d'un tout-à-l'égout, prenez garde à ne pas souiller vos habits de boue. Certaines maladies graves se propagent de cette façon.

Ne vous laissez pas abuser par les mendiants qui se font passer pour malades.

Avant de traverser un terrain particulièrement boueux, assurez-vous qu'il ne s'agit pas d'une zone d'épandage de latrines.

Chaque fois que possible, préférez séjourner dans une maison modeste à la campagne plutôt que dans un appartement en ville. Vous ne le regretterez pas.

Habillez-vous le plus simplement possible. Évitez les frais inutiles de vêtements et de blanchisserie.

Étiquetez solidement vos bagages, ne comptez pas sur des marques distinctives qui ne durent jamais bien longtemps.


Que la bande infâme
Convoitait son sac,
C'est ce que je clame,
Sûr d'y voir en vrac

Une déplorable
Horde fourre-tout
D'aigrefins minables,
Escrocs et voyous

* * *

Il croit que la sotte
Se lasse de lui,
Penche pour son pote,
Et alors c'est cuit

À bout, il accroche
Sa femme aux rideaux
Grande nana moche
Surprise de dos

* * *

On dit que ta pomme
Regrette d'avoir
À vivre ici comme
La star du manoir

Fin blasé tu traques
Les pauvres gourbis,
Agrestes baraques,
Bicoques zarbis

Trois sélénets acrostiches de mots. Un sélénet est un poème qui peut se chanter sur l'air d'Au clair de la lune (deux quatrains de pentasyllabes à rimes croisées féminine puis masculine). Les premiers mots de chaque vers forment un vers du sonnet de Queneau.

D'autres vers du sonnet ont été transformés par divers auteurs en sélénets acrostiches que l'on trouvera sur le site Zazipo.


Il se penche il voudrait contempler la grand ville
où l'on ne voit c'est sûr que de rares zozos
il se penche et alors depuis son domicile
il ne trouve aussi sec que quelques vols d'oiseaux

On vous fait demeurer à la maison tranquille
on se plaît à clouer de pauvres provinciaux
de la mort on distille une menace utile
la peur a grignoté tous les tissus sociaux

Devant la boue urbaine on enfile une cotte
chacun peut s'alarmer de sa mine pâlotte
lorsqu'il voit de la toux il cherche un médecin

On regrette à la fin les dimanches de votes
on faisait sans façon la bise à tous ses potes
les cures d'anticorps sont dures le matin

L'un des Trois mille millions de confinés de Raymond Corono, paru chez Yann Amard en mars 2020.

Écrit pendant le confinement imposé par la pandémie de Covid-19.


Nicolas Graner, 2020, Licence Art Libre