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Retour vers Le cothurne étroit

Chien et Loup

Cette Fable contient plus d'un enseignement.
Ceci n'est pas un conte à plaisir inventé ;
C'est ainsi que l'a dit le principal Auteur.

Certain Loup, aussi sot que le pêcheur fut sage,
(Celui-ci ne voyait pas plus loin que son nez :
Ce Loup ne savait pas encor bien son métier,
Ce n'était pas un Loup, ce n'en était que l'ombre)
C'est un fort méchant caractère.
C'est là son moindre défaut.

Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau.
Ce n'était pas un sot, non, non, et croyez-m'en,
C'était un vieux routier, il savait plus d'un tour ;
C'était merveilles de le voir,
Car il est maître en l'art de flatterie.

Comme ils se connaissaient tous deux dès leur bas âge,
Chacun favorisait leurs transports mutuels,
Content de ces douceurs, errant parmi les bois,
Comme on vit autrefois Philémon et Baucis !
Cette union si douce, et presque fraternelle,
C'était un piège : il y fut attrapé.

Car de lui demander quand, pourquoi, ni comment,
Ce qu'il n'entreprend pas, et ce qu'il entreprend,
Ce qu'il craint et ce qu'il désire,
Ce que c'est qu'une fausse ou véritable gloire,
Ce discours éloquent ne fit pas grand effet.

Certain sujet fit naître la dispute,
Ces mots remplis d'impertinence :
« Car toi, Loup, tu te plains, quoiqu'on ne t'ait rien pris ! »
Chose ennuyeuse et qu'il est las d'entendre.

« Comment ? disait-il en son âme,
Croit-il être le seul qui ne soit pas content,
Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal ?
Car qui peut s'assurer d'être toujours heureux ?
Chagrins, impatients, et se plaignant sans cesse :
C'est proprement le mal François. »

Ce Chien-ci donc étant de la sorte atourné,
Craignant la haine et la colère,
Commit une sottise extrême :
Court à son compagnon, lui dit que c'est merveille :
« Chez les amis tout s'excuse, tout passe.
Cependant soyez gais, voilà de quoi manger ! »
Cela seul suffirait pour écarter les Loups ?
Ce n'est pas un fort bon moyen.
C'est qu'il en coûte cher, de pareilles erreurs.

Comme il allait haranguer l'assistance,
« C'est assez », dit le rustique
Compère Loup, le gosier altéré.
« Commençons dans deux jours ; et mangeons cependant ! »
Ce Chien, parce qu'il est mignon,
C'était, à son avis, un excellent morceau,
Car il est bonne créature.
Cette réflexion fit aussi croquer l'autre.
Cela fut sitôt fait qu'à peine ils le sentirent.

Ce repas fait, il dit d'un ton de Président :
« C'était là le seul aliment
Car si les Loups mangeaient mainte bête égarée,
Ces mets, nous l'avouons, sont peu délicieux,
C'est une viande qui me lasse. »

« Cependant c'était votre faute,
C'est bien fait, dit le Loup en soi-même fort triste ;
Ce qu'on donne aux méchants, toujours on le regrette.
Cela fut et sera toujours. »
Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encor.
C'est par là que de loups l'Angleterre est déserte.

Ce que je viens de raconter,
Ceci s'adresse à vous, esprits du dernier ordre !
Ceci vous sert d'enseignement,
Ce service vous peut quelque jour être utile.
Ceci soit dit en passant ; je me tais.
C'est ce coup qu'il est bon de partir, mes enfants.


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Nicolas Graner, janvier 2002, Licence Art Libre