Rigidité de l'okapi : alternance de consonne et de voyelle.
Ce texte a été écrit en mars 2020, alors que la majorité des Français et une bonne partie du reste de l'humanité étaient confinées à domicile par la pandémie de Covid-19 due au coronavirus SARS-CoV-2. Le mot « coronavirus » était donc dans tous les esprits. Ce mot a la particularité de comporter alternativement une consonne et une voyelle.
Écrire tout un texte en respectant cette alternance, y compris entre les mots, n'est pas une idée nouvelle. On en trouvera quelques exemples dans la section Références. Cette contrainte d'écriture n'a pas de nom spécifique, ainsi l'Oulipo l'appelle simplement « alternance ». En 1996, Philippe Bruhat et Estelle Souche la baptisèrent d'abord « contrainte du zèbre », l'alternance des consonnes et voyelles rappelant celle des rayures noires et blanches de cet équidé. Préférant un nom qui respecte lui-même la contrainte, ils optèrent pour « rigidité de l'okapi », en référence à cet autre animal dont les membres, à défaut du corps, sont tout aussi rayés. L'expression a connu un certain succès, en particulier sur la liste oulipo où l'on appelle couramment « okapi » un mot ou un texte respectant cette contrainte.
Sachant par ailleurs que le SARS-CoV-2 a vraisemblablement été transmis de la chauve-souris à l'humain en passant par un autre animal, que l'on soupçonne sans certitude d'être un pangolin, il n'y avait qu'un pas à faire pour imaginer que cet intermédiaire ait plutôt été un okapi. C'est ce que j'ai fait dans Corokapirus, texte purement fantaisiste qui ne doit évidemment pas être pris au sérieux. Les seules informations à peu près crédibles sont que l'okapi est un girafidé rayé et que, dans les cellules vivantes, le ribosome polymérise des acides aminés. Tout le reste, y compris les références, oscille entre l'invention et l'absurde.
Remarque technique : le Y est ici considéré comme une voyelle quand il est entre deux consonnes (et se prononce [i]) et comme une consonne entre deux voyelles (il se prononce alors comme la semi-consonne [j]).
Ce samedi matin, à la mi-carême, Gisèle, la mère de la petite Madelon, a mis une robe de popeline rose. Du côté du salon, un cigare de La Havane dégage son arôme délicat : Anatole, l'amiral ami de Gisèle, serine le Boléro de Ravel.
Georges Perec, Perec/rinations in Télérama, rubrique de jeux où les lecteurs devaient deviner la règle suivie. Noter l'erreur d'alternance : « un cigare ».
Maxime dîne ce matin avec Anatole :
— Je me régale, dit-il à son ami. J'adore l'arôme de ce potage de légumes à l'anis. On y tâte l'acidité délicate du rutabaga, de l'acidulé rare du céleri-rave caramélisé, de la sapidité paradoxale de la tomate des Yvelines, et une légère marinade de cari, basilic et origan a su le revigorer. Avec une matelote de mulet, une salade de macaronis, une carafe de Rosé du Médoc, une petite fine du Jura, le géromé, le livarot, un ananas, une banane, du café, ce sera super !
Georges Perec, Gammes in Les Nouvelles Littéraires, août 1979.
La divinité s'amuse de ta timide habitude de rêver une petite minute, de-ci, de-là, sur une lame marine. L'alizé te ramènera du pâle horizon à la sévérité de ce rivage coloré : salut, ami revenu !
Oulipo, Atlas de littérature potentielle, Idées/Gallimard, 1981, p. 264. L'auteur n'est pas indiqué.
Île de Cuba. La Havane, l'été se finit.
Un ahuri, tif en épi, gel ébène, catogan à la mode, se relève d'une mare fétide. Le zig ulule, vocifère, rugit un : « Ah Ah ! »
Abîmé d'érésipèle, d'avitaminose, de misères adiposo-génitales, un acolyte « X », anonyme, fixe le panorama.
Éric Angelini et Daniel Lehman, Cadédiou, publié en ligne, Bruxelles, 1990-1991.
Nicolas Graner, 2020, Licence Art Libre