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Retour vers Le cothurne étroit

Commentaire de
Grisaille

En bref.

Un poème à double sens, qui peut se lire horizontalement ou verticalement.

Mais encore...

Le poème Grisaille est inspiré par la situation des personnes malvoyantes, qui souffrent souvent de l'incompréhension de leur entourage. Il est en effet très difficile de se comporter de façon adaptée face à quelqu'un qui donne l'impression, selon les lieux et les moments, soit de voir normalement, soit d'utiliser sa vue tout en la suppléant par les autres sens, soit d'être totalement aveugle.

Cette ambiguïté est traduite par les deux lectures possibles du poème, horizontale et verticale, qui font apparaître deux sens nettement différents.

Le poème se présente en douze lignes et deux colonnes. En lisant « horizontalement », c'est-à-dire en accolant les deux moitiés de chaque ligne, et en rétablissant la ponctuation, on lit la plainte d'un malvoyant qui voit suffisamment bien pour que son handicap passe inaperçu, et qui de ce fait ne reçoit jamais l'attention dont il aurait parfois besoin :

Je ne vois pas les gens me proposer leur aide
quand je croise leur route. On ne devine pas,
car mes yeux, impuissants à observer mes pieds,
me laissent, dans le noir, retrouver des repères.
Chacun croit, du moment que je sais aller seul,
que je lui tends la main par simple politesse.
À un tragique appel soyez plus attentif !
Oui, je perçois tout par les yeux, tels qu'ils me restent.
L'ouïe et le toucher, je ne m'en sers jamais.
C'est ainsi, mais pourquoi ne pouvez-vous donc pas
me prêter attention ? Pour me faire plaisir,
mes amis veulent tous me parler d'autre chose.

Pour lire « verticalement », il faut lire toute la première colonne puis toute la seconde, en regroupant les lignes successives deux par deux pour former à nouveau des alexandrins, et en rétablissant la ponctuation. On découvre alors un aveugle parfaitement indépendant, à qui l'on offre sans cesse une aide dont il n'a que faire :

Je ne vois pas les gens quand je croise leur route,
car mes yeux impuissants me laissent dans le noir.
Chacun croit, du moment que je lui tends la main,
à un tragique appel. Oui, je perçois tout par
l'ouïe et le toucher, c'est ainsi, mais pourquoi
me prêter attention ? Mes amis veulent tous
me proposer leur aide. On ne devine pas,
à observer mes pieds retrouver des repères,
que je sais aller seul ? Par simple politesse
soyez plus attentif ! Les yeux, tels qu'ils me restent,
je ne m'en sers jamais ; ne pouvez-vous donc pas,
pour me faire plaisir, me parler d'autre chose ?

Le titre Grisaille fait allusion à la fois au monde perçu par les malvoyants, ni aussi lumineux que celui des bien-voyants ni totalement noir, aux sentiments moroses qui en découlent trop souvent, et à l'incertitude de l'entourage sur l'attitude à adopter.


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Nicolas Graner, 2000, Licence Art Libre