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Retour vers Le cothurne étroit

Commentaire de
Attention à la marche

En bref.

Une sextine où les mots-rimes changent progressivement.

Mais encore...

Le sens.

Ce poème a été écrit le premier jour de la 21e conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP21) qui s'est tenue près de Paris deux semaines après les attentats du 13 novembre 2015. La France était placée en état d'urgence à la suite de ces attentats, ce qui a permis l'interdiction de nombreux rassemblements dont la grande « Marche mondiale pour le climat » prévue pour faire pression sur les négociateurs de la COP21.

La mise en œuvre de l'état d'urgence reposait sur une certaine confusion, délibérément entretenue, entre les rassemblements interdits pour éviter de fournir des cibles à d'éventuels nouveaux attentats, les mesures prises à l'encontre de personnes soupçonnées d'intentions terroristes, les actions envers des délinquants sans rapport avec le terrorisme mais facilitées par les pouvoirs étendus des forces de l'ordre, et l'interdiction de manifestations jugées indésirables pour d'autres raisons. Attention à la marche reflète ma difficulté à me faire une opinion entre les préoccupations légitimes des autorités face aux menaces terroristes et les abus de pouvoir prenant ces menaces pour prétexte.

La forme.

Il s'agit d'une variante de la « sextine » que j'ai baptisée « sextine glissante ».

Une sextine est composée de six strophes de six vers suivies d'une strophe de trois vers (l'envoi, ou tornada). Les mots qui terminent les six vers de chaque strophe (ou mots-rimes) sont les mêmes dans les six strophes, mais dans un ordre différent. Si par exemple les vers de la première strophe se terminent respectivement par les mots ABACA, BAOBAB, CADUC, DARD, EAGLE et FAF, alors ceux de la deuxième strophe se termineront dans l'ordre par FAF, ABACA, EAGLE, BAOBAB, DARD et CADUC. La même permutation 123456 → 615243 est appliquée pour passer de la deuxième strophe à la troisième, de la troisième à la quatrième, etc. La tornada inclut les six mots-rimes, mais ils peuvent apparaître n'importe où dans les trois vers et dans n'importe quel ordre.

Dans une sextine glissante, à chaque nouvelle strophe l'un des mots-rimes est remplacé par un autre mot, qui est ensuite conservé aux strophes suivantes. La dernière strophe de six vers n'a donc qu'un mot-rime en commun avec la première, et la tornada n'en a aucun. Dans Attention à la marche, cette substitution est faite de manière systématique : le mot qui termine le deuxième vers d'une strophe, qui devrait d'après la permutation de la sextine se retrouver à la fin du quatrième vers de la strophe suivante, est remplacé par un autre mot qui rime avec lui. Ainsi, le mot « vis » du deuxième vers de la première strophe devient « vice » au quatrième vers de la deuxième strophe, et reste « vice » dans toutes les strophes suivantes. Le mot « intox » qu'on trouve dans la première et la deuxième strophes devient « paradoxe » lorsqu'il arrive au quatrième vers de la troisième strophe, et le reste dans les strophes suivantes, etc. Le dernier mot qui subsiste de la première strophe est « manif », qui figure au deuxième vers de la sixième strophe puis est remplacé par « pontife » dans la tornada.

Je me suis imposé une contrainte supplémentaire sans rapport avec la sextine : les substitutions de mots sont doublement transsexuelles. Les mots-rimes initiaux sont tous des noms féminins, et ils sont remplacés par des noms masculins. En même temps, les mots initiaux correspondent à des rimes masculines (ils ne se terminent pas par un E muet) alors que leurs remplaçants donnent des rimes féminines (ils se terminent par un E muet) : une intox → un paradoxe, une vis → un vice, une chair → un adversaire, une manif → un pontife, une douleur → un leurre, une star → un barbare. Il existe bien d'autres couples du même type : foi / foie, pop / pope, dot / antidote, nef / greffe, jeep / principe, bégum / homme, basket / squelette, gym / régime, béchamel / rebelle, cour / anoure, vamp / hippocampe, merguez / mélèze, lady / incendie, clé / mausolée, mémé / camée, acné / hyménée, beauté / athée, etc.


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Nicolas Graner, 2015, Licence Art Libre