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Commentaire de
J'ai poussé les menhirs

En bref.

Un contrepantourime inspiré par des tableaux de Susana Machado.

Mais encore...

En février 2017, Susana Machado a présenté dans une galerie parisienne une exposition de tableaux intitulée « Dialogue avec un Cromlech » (un cromlech est un alignement de menhirs). Comme elle est professeur d'arts plastiques, elle avait auparavant montré ses tableaux à des élèves de CE2 (8-9 ans) et noté les mots ou expressions qui leur venaient spontanément devant ces œuvres non figuratives. Elle m'a ensuite communiqué ces mots (voir la section Références et m'a demandé d'en tirer un poème destiné à accompagner l'exposition.

La réponse à cette commande est J'ai poussé les menhirs, poème en 18 quatrains qui contient tous les mots offerts par les enfants. Il a été imprimé en regard des tableaux de Susana dans un petit livret distribué aux visiteurs de l'exposition.

Pour sa forme, J'ai poussé les menhirs est un « contrepantourime », structure de mon invention qui emprunte à la fois à la contrerime et au pantoum :

  1. Les Contrerimes de Paul-Jean Toulet, publiées en 1921, sont composées de strophes de quatre vers dont les rimes sont embrassées (ABBA) alors que la longueur suit une structure croisée (8 syllabes, 6 syllabes, 8 syllabes, 6 syllabes). Ainsi chaque vers long rime avec un vers court, ce qui est plutôt inhabituel dans la poésie classique. On en trouve quelques exemples dans la section Références. J'ai conservé ce principe mais mes vers longs ont 12 syllabes au lieu de 8, ce qui accentue l'impression de déséquilibre.
  2. Le pantoum est une forme fixe qui trouve son origine lointaine dans le « pantoun » de Malaisie (sur le rapport entre ces deux formes voir par exemple cet article de Georges Voisset). Il se compose d'une succession de quatrains tels que le deuxième vers d'une strophe est identique au premier de la strophe suivante, et le quatrième vers d'une strophe est identique au troisième de la suivante. Chaque strophe contient donc deux vers déjà entendus auparavant alternant avec deux nouveaux vers. On en trouve un exemple dans la section Références. Cette forme n'est pas compatible avec la contrerime : les vers 2 et 4 d'une strophe, qui sont courts, se retrouvent en position 1 et 3 dans la suivante, et doivent donc être longs. J'ai résolu cette contradiction en complétant les vers courts lors de leur reprise : le deuxième vers d'une strophe, de 6 syllabes, devient le premier hémistiche du premier vers de la strophe suivante, que l'on complète par un second hémistiche original ; de même, le quatrième vers d'une strophe devient le premier hémistiche du troisième vers de la suivante. Ceci permet de réduire la monotonie inhérente au pantoum. En effet, dans un véritable pantoum une moitié de chaque strophe est commune avec la strophe précédente et l'autre moitié avec la strophe suivante, chaque vers étant entendu deux fois. Dans le contrepantourime, un tiers de chaque strophe est commun avec la précédente, un tiers commun avec la suivante, et un tiers n'appartient qu'à cette strophe et n'est entendu qu'une fois.

Références.

Commentaires d'élèves de CE2 sur des tableaux de Susana Machado.


Les Contrerimes
Paul-Jean Toulet, 1921.

I

Avril, dont l'odeur nous augure
   Le renaissant plaisir,
Tu découvres de mon désir
   La secrète figure.

Ah, verse le myrte à Myrtil,
   L'iris à Desdémone :
Pour moi d'une rose anémone
   S'ouvre le noir pistil.

II

Toi qu'empourprait l'âtre d'hiver
   Comme une rouge nue
Où déjà te dessinait nue
   L'arome de ta chair ;

Ni vous, dont l'image ancienne
   Captive encor mon cœur,
Ile voilée, ombres en fleurs,
   Nuit océanienne ;

Non plus ton parfum, violier
   Sous la main qui t'arrose,
Ne valent la brûlante rose
   Que midi fait plier.

III

Iris, à son brillant mouchoir,
   De sept feux illumine
La molle averse qui chemine,
   Harmonieuse à choir.

Ah, sur les roses de l'été,
   Sois la mouvante robe,
Molle averse, qui me dérobe
   Leur aride beauté.

Et vous, dont le rire joyeux
   M'a caché tant d'alarmes,
Puissé-je voir enfin des larmes
   Monter jusqu'à vos yeux.

IV

Ces roses pour moi destinées
   Par le choix de sa main,
Aux premiers feux du lendemain,
   Elles étaient fanées.

Avec les heures, un à un,
   Dans la vasque de cuivre,
Leur calice tinte et délivre
   Une âme à leur parfum

Liée, entre tant, ô Ménesse,
   Qu'à travers vos ébats,
J'écoute résonner tout bas
   Le glas de ma jeunesse.

V

Dans le lit vaste et dévasté
   J'ouvre les yeux près d'elle ;
Je l'effleure : un songe infidèle
   L'embrasse à mon côté.

Une lueur tranchante et mince
   Échancre mon plafond.
Très loin, sur le pavé profond,
   J'entends un seau qui grince...


La Montagne
Pantoum
Théodore de Banville

Sur les bords de ce flot céleste
Mille oiseaux chantent, querelleurs.
Mon enfant, seul bien qui me reste,
Dors sous ces branches d'arbre en fleurs.

Mille oiseaux chantent, querelleurs.
Sur la rivière un cygne glisse.
Dors sous ces branches d'arbre en fleurs,
Ô toi ma joie et mon délice !

Sur la rivière un cygne glisse
Dans les feux du soleil couchant.
Ô toi ma joie et mon délice
Endors-toi, bercé par mon chant !

Dans les feux du soleil couchant
Le vieux mont est brillant de neige.
Endors-toi bercé par mon chant,
Qu'un dieu bienveillant te protège !

Le vieux mont est brillant de neige,
À ses pieds l'ébénier fleurit.
Qu'un dieu bienveillant te protège !
Ta petite bouche sourit.

À ses pieds l'ébénier fleurit.
De brillants métaux le recouvrent.
Ta petite bouche sourit
Pareille aux corolles qui s'ouvrent.

De brillants métaux le recouvrent,
Je vois luire des diamants.
Pareille aux corolles qui s'ouvrent,
Ta lèvre a des rayons charmants.

Je vois luire des diamants
Sur la montagne enchanteresse.
Ta lèvre a des rayons charmants.
Dors, qu'un rêve heureux te caresse !

Sur la montagne enchanteresse
Je vois des topazes de feu.
Dors, qu'un songe heureux te caresse.
Ferme tes yeux de lotus bleu !

Je vois des topazes de feu
Qui chassent tout songe funeste.
Ferme tes yeux de lotus bleu
Sur les bords de ce flot céleste !


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Nicolas Graner, 2017, Licence Art Libre