Un contrepantourime inspiré par des tableaux de Susana Machado.
En février 2017, Susana Machado a présenté dans une galerie parisienne une exposition de tableaux intitulée « Dialogue avec un Cromlech » (un cromlech est un alignement de menhirs). Comme elle est professeur d'arts plastiques, elle avait auparavant montré ses tableaux à des élèves de CE2 (8-9 ans) et noté les mots ou expressions qui leur venaient spontanément devant ces œuvres non figuratives. Elle m'a ensuite communiqué ces mots (voir la section Références et m'a demandé d'en tirer un poème destiné à accompagner l'exposition.
La réponse à cette commande est J'ai poussé les menhirs, poème en 18 quatrains qui contient tous les mots offerts par les enfants. Il a été imprimé en regard des tableaux de Susana dans un petit livret distribué aux visiteurs de l'exposition.
Pour sa forme, J'ai poussé les menhirs est un « contrepantourime », structure de mon invention qui emprunte à la fois à la contrerime et au pantoum :
Avril, dont l'odeur nous augure
Le renaissant plaisir,
Tu découvres de mon désir
La secrète figure.
Ah, verse le myrte à Myrtil,
L'iris à Desdémone :
Pour moi d'une rose anémone
S'ouvre le noir pistil.
Toi qu'empourprait l'âtre d'hiver
Comme une rouge nue
Où déjà te dessinait nue
L'arome de ta chair ;
Ni vous, dont l'image ancienne
Captive encor mon cœur,
Ile voilée, ombres en fleurs,
Nuit océanienne ;
Non plus ton parfum, violier
Sous la main qui t'arrose,
Ne valent la brûlante rose
Que midi fait plier.
Iris, à son brillant mouchoir,
De sept feux illumine
La molle averse qui chemine,
Harmonieuse à choir.
Ah, sur les roses de l'été,
Sois la mouvante robe,
Molle averse, qui me dérobe
Leur aride beauté.
Et vous, dont le rire joyeux
M'a caché tant d'alarmes,
Puissé-je voir enfin des larmes
Monter jusqu'à vos yeux.
Ces roses pour moi destinées
Par le choix de sa main,
Aux premiers feux du lendemain,
Elles étaient fanées.
Avec les heures, un à un,
Dans la vasque de cuivre,
Leur calice tinte et délivre
Une âme à leur parfum
Liée, entre tant, ô Ménesse,
Qu'à travers vos ébats,
J'écoute résonner tout bas
Le glas de ma jeunesse.
Dans le lit vaste et dévasté
J'ouvre les yeux près d'elle ;
Je l'effleure : un songe infidèle
L'embrasse à mon côté.
Une lueur tranchante et mince
Échancre mon plafond.
Très loin, sur le pavé profond,
J'entends un seau qui grince...
Sur les bords de ce flot céleste
Mille oiseaux chantent, querelleurs.
Mon enfant, seul bien qui me reste,
Dors sous ces branches d'arbre en fleurs.
Mille oiseaux chantent, querelleurs.
Sur la rivière un cygne glisse.
Dors sous ces branches d'arbre en fleurs,
Ô toi ma joie et mon délice !
Sur la rivière un cygne glisse
Dans les feux du soleil couchant.
Ô toi ma joie et mon délice
Endors-toi, bercé par mon chant !
Dans les feux du soleil couchant
Le vieux mont est brillant de neige.
Endors-toi bercé par mon chant,
Qu'un dieu bienveillant te protège !
Le vieux mont est brillant de neige,
À ses pieds l'ébénier fleurit.
Qu'un dieu bienveillant te protège !
Ta petite bouche sourit.
À ses pieds l'ébénier fleurit.
De brillants métaux le recouvrent.
Ta petite bouche sourit
Pareille aux corolles qui s'ouvrent.
De brillants métaux le recouvrent,
Je vois luire des diamants.
Pareille aux corolles qui s'ouvrent,
Ta lèvre a des rayons charmants.
Je vois luire des diamants
Sur la montagne enchanteresse.
Ta lèvre a des rayons charmants.
Dors, qu'un rêve heureux te caresse !
Sur la montagne enchanteresse
Je vois des topazes de feu.
Dors, qu'un songe heureux te caresse.
Ferme tes yeux de lotus bleu !
Je vois des topazes de feu
Qui chassent tout songe funeste.
Ferme tes yeux de lotus bleu
Sur les bords de ce flot céleste !
Nicolas Graner, 2017, Licence Art Libre