Mais encore...
Ce poème aborde le thème traditionnel des « âges de la vie », maintes
fois représenté dans tous les arts depuis l'Antiquité, et parodié dans
le titre Présages de la vie.
On y trouve des références
aux trois âges de la célèbre énigme de la Sphinx : « Quel être a
d'abord quatre jambes le matin, puis deux jambes le midi, et trois
jambes le soir ? » mais des âges intermédiaires sont également pris
en compte. Chaque âge est évoqué par des stéréotypes qui lui sont
couramment associés, sans grand souci de réalisme.
Du point de vue de la forme,
chaque vers respecte ou non les règles d'un sonnet
classique, selon le degré de
conformisme social que l'on associe à l'âge correspondant.
En voici le détail :
- Vers 1 à 4.
-
Le bébé dispose de ressources limitées, représentées par des vers de
seulement 4 syllabes. Il est obligé de respecter les règles qu'on lui
impose, ici des vers réguliers et des rimes suffisantes. Ces règles ne doivent
cependant pas être trop compliquées pour lui : la
rime entre pluriel et singulier des
vers 1 et 4 enfreint la règle classique de la « liaison supposée ».
- Vers 5 à 7.
-
L'enfant intègre les règles de la société où il vit, adaptées à son
âge. Les vers sont des octosyllabes, une mesure classique mais
généralement considérée comme plus légère que l'alexandrin. La rime
pauvre des vers 6 et 7
exprime un refus des règles excessivement strictes.
- Vers 8.
-
Le pré-adolescent commence à
s'émanciper des règles imposées. Le vers compte 9 syllabes au lieu de
8 (ou, si l'on préfère, 8 syllabes en élidant
le E de pousse, ce qui est interdit en prosodie classique).
La rime est remplacée par une simple assonance, comme une
concession faite à la règle sans la respecter vraiment.
- Vers 9.
-
L'adolescent rebelle rejette délibérément toutes les normes
sociales. Le vers viole plusieurs règles prosodiques :
vers de 19 ou 20 syllabes qui ne s'intègre dans aucun schéma
classique, E caduc avant une césure suivie d'une consonne
(révolte, conspue), E caduc en fin de mot précédé d'une
voyelle et suivi d'une
consonne (conspue la), double hiatus (société et éructe).
Le mot peuple est connu pour ne rimer avec
aucun autre mot français, le placer en fin de vers exprime un refus
que le vers suivant puisse rimer avec lui comme le voudrait la
structure du sonnet. De plus, sa finale féminine
(terminée par un E caduc) rompt l'alternance de rimes
masculines et féminines respectée dans le reste du poème.
- Vers 10.
-
Le jeune adulte réintègre en partie le cadre normatif, sans toutefois
s'y plier complètement. Ce vers de 14 ou 15 syllabes peut s'analyser
comme deux vers de 7 syllabes presque rimés (essouffle/souple), or les
heptasyllabes sont admis à l'époque classique dans des genres mineurs
comme la fable (par exemple La cigale et la fourmi). On
peut aussi le considérer comme un alexandrin non classique si on élide
les E caducs. Bien que le peuple du vers précédent n'accepte pas
de rime, le mot souple qui termine celui-ci peut
s'interpréter comme une tentative de s'en approcher
autant que possible.
- Vers 11 et 12.
-
L'adulte mûr intègre pleinement les codes de la société, tout en
conservant une certaine liberté de choix de son mode de vie. Ces deux
vers de forme classique sont des décasyllabes césurés en 4 et 6
syllabes, une mesure courante mais ressentie comme moins
académique que l'alexandrin et beaucoup moins souvent employée dans les sonnets.
- Vers 13 et 14.
-
Avec le grand âge arrivent la nostalgie du passé et le goût du retour à
la tradition, voire d'une discipline plus stricte. Ces deux
alexandrins sont en tous points conformes aux canons classiques.
L'idée de ce poème m'a été suggérée par ce que Jacques Jouet appelle le
« sonnet
alexandriniste », qui débute par des vers longs et se termine
par des alexandrins. Ici les premiers vers ne sont pas longs mais
passent par différentes formes avant le « rétablissement par l'alexandrin ».