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Retour vers Le cothurne étroit

Commentaire de
Shéhérazade

En bref.

Dans ce poème de cinq strophes, chaque paire de strophes a un vers (et un seul) en commun.

Mais encore...

Le poème Shéhérazade illustre une structure mathématique : celle formée par N ensembles de N+1 éléments, tels que le i-ème et le j-ème ensemble ont un élément et un seul en commun pour tout i et j. Il ne s'agit d'ailleurs pas réellement d'ensembles puisque le même élément peut apparaître deux fois dans un ensemble, ce qui permet de respecter la règle même pour i = j.

Cette structure m'a été suggérée par la phrase latine « MUTUS NOMEN DEDIT COCIS » (le muet a donné un nom au cuisinier) qui correspond à N = 4, les ensembles étant les mots et les éléments les lettres. En effet, on constate dans cette phrase que deux mots quelconques ont toujours une lettre et une seule en commun, et chaque mot une lettre répétée et une seule, comme illustré par le tableau suivant :

MUTUSNOMENDEDITCOCIS
MUTUSUMTS
NOMENMNEO
DEDITTEDI
COCISSOIC

Dans Shéhérazade, la structure est similaire mais les ensembles sont des strophes, les éléments des vers, et N vaut 5 (cinq strophes de six vers). Ceci impose notamment que chaque vers apparaisse deux fois dans le poème, soit dans la même strophe soit dans deux strophes distinctes.

Je me suis de plus imposé les contraintes suivantes :

La contrainte la plus intéressante au plan « littéraire » est bien sûr la dernière, bien qu'elle ne soit pas appliquée systématiquement. Les variations de sens peuvent s'obtenir en jouant sur des homonymes (porte : verbe ou nom), des mots invariables (curieux : singulier ou pluriel), des changements d'antécédents des pronoms (qui contre eux se dresse : les attraits, ou les Dieux), et surtout sur la ponctuation.

On trouvera sur le site de Gilles Esposito-Farèse d'autres poèmes exploitant la même structure de base assortie de diverses contraintes supplémentaires. La section Références présente un texte respectant une autre variante de cette contrainte, composé de sept lignes de huit mots où deux lignes ont toujours un mot en commun.

Présentation hypertexte.

Le poème Shéhérazade est reproduit en entier dans la section Références, mais la présentation normale se fait strophe par strophe avec des liens hypertexte qui font apparaître sa structure. En cliquant sur la flèche devant un vers d'une strophe, on passe à l'autre strophe dans laquelle un vers identique apparaît (puisque chaque vers apparaît exactement deux fois). Par exemple, lorsque la strophe 1 est affichée, en cliquant devant son troisième vers « De mille attraits l'amour pare les pécheresses » on passe à la strophe 4 dont le quatrième vers est le même, à la ponctuation près.

Lorsqu'un même vers apparaît deux fois dans la même strophe (ce qui se produit dans chaque strophe), cliquer sur sa flèche amène à une autre strophe, au hasard. Il n'y a pas de raison particulière à celà en-dehors du désir de l'auteur d'embrouiller un peu plus le lecteur.

Références.

Môme, sois ceci.

Réveil matinal, œil ensommeillé, café tiède, réveil pénible.
Discussion inévitable, baiser hâtif, bouchon matinal, retard inévitable.
Œil courroucé, retard inexcusable, réunion importante, reproche courroucé.
Réunion pénible, break bienvenu, repas hâtif, break terminé.
Café terminé, après-midi morne, discussion importante, après-midi interminable.
Bouchon habituel, conduite interminable, repas tiède, reproche habituel.
Conduite inexcusable, silence morne, baiser ensommeillé, silence bienvenu.

Shéhérazade.

Sa mère lui disait quand il était petit
Et curieux des plaisirs inconnus, des faveurs :
« De mille attraits l'amour pare les pécheresses.
Des trésors merveilleux, des palais engloutis
Et curieux, des plaisirs inconnus ? Des faveurs
Que réservent les Dieux à qui contre eux se dresse. »

Sa mère lui disait quand il était petit
De ne plus écouter parler Shéhérazade,
Porte ouverte aux plaisirs, la tentation des sens.
Ceux qui de ses filets sont en vainqueurs sortis
L'ont laissé fuir. La femme ainsi restée en rade
Porte, ouverte aux plaisirs, la tentation des sens.

De ne plus écouter parler Shéhérazade
Des héros, des sultans, des guerriers et des princes,
Des trésors merveilleux, des palais engloutis,
Son cœur se briserait ; ses nuits sembleraient fades.
Des héros, des sultans, des guerriers et des princes
Ont préféré mourir que prendre un tel parti.

Des hommes qui, tentés de suivre une maîtresse,
Ont préféré mourir que prendre un tel parti
S'en sont trouvés grandis, mais non pas plus heureux.
De mille attraits l'amour pare les pécheresses :
Ceux qui de ses filets sont en vainqueurs sortis
S'en sont trouvés grandis, mais non pas plus heureux.

Son cœur se briserait, ses nuits sembleraient fades,
Son noir destin serait l'éternel châtiment
Des hommes qui, tentés de suivre une maîtresse,
L'ont laissé fuir. La femme ainsi restée en rade,
Son noir destin serait l'éternel châtiment
Que réservent les Dieux à qui contre eux se dresse.


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Nicolas Graner, 2000, Licence Art Libre