Un sosnet, un sonnet dont les vers sont des sos.
Le signal de détresse du code Morse, adopté par la Convention Radiotélégraphique Internationale de 1906, se compose de neuf symboles : trois points, trois traits, trois points (· · · – – – · · ·). Cette suite est semblable à celles qu'on obtiendrait en transmettant plusieurs lettres de suite sans respecter d'intervalle entre les lettres, par exemple IWB (· · · – – – · · ·) ou EITMIE (· · · – – – · · ·). De fait, il y a 192 façons d'obtenir cette suite de symboles en accolant des lettres du Morse, sans compter les chiffres et autres signes (8 avec trois lettres, 34 avec quatre lettres, 59 avec cinq lettres, 54 avec six lettres, 28 avec sept lettres, 8 avec huit lettres et 1 avec neuf lettres). De ces 192 combinaisons, la plus mémorable est sans doute SOS (· · · – – – · · ·), c'est pourquoi on a donné ce nom au signal de détresse en français et dans de nombreuses autres langues.
Comme toute suite de symboles Morse, celle-ci peut se transposer en une contrainte d'écriture de différentes façons. J'ai choisi de faire correspondre à chaque point un mot d'une syllabe et à chaque trait un mot de deux syllabes. On définit ainsi un nouveau type de vers, appelé un sos (prononcé « sosse »), qui se compose de neuf mots : trois d'une syllabe, trois de deux syllabes et trois d'une syllabe. Le décompte des syllabes se fait selon les conventions de la prosodie française ; en particulier un E caduc en fin de mot compte pour une syllabe si, et seulement si, il est suivi d'un mot commençant par une consonne. Les mots élidés ne comptant aucune syllabe (« l' », « qu' », etc.) ne sont pas comptés comme des mots et peuvent être employés librement n'importe où dans le vers.
Un sos compte 12 syllabes (1+1+1+2+2+2+1+1+1), comme un alexandrin, mais il diffère de l'alexandrin car il n'est pas divisé en deux hémistiches de 6 syllabes. Il n'y a pas de césure imposée dans un sos : il peut être césuré en 5+7 syllabes, 7+5, 3+9, 9+3, 3+6+3 ou diverses autres combinaisons. Mais la césure 6+6 caractéristique de l'alexandrin est impossible puisque la sixième et la septième syllabes du vers appartiennent nécessairement au même mot (le cinquième mot du vers). Il ne peut pas non plus être césuré en 4+4+4 syllabes comme la variante de l'alexandrin parfois appelée « trimètre romantique ».
Un poème qui respecte la forme du sonnet classique, à ceci près qu'il est composé de sos au lieu d'alexandrins, s'appelle un sosnet (prononcé « soss-nê »). Si tous les sos sont césurés de la même manière, le sosnet peut être scandé selon un rythme régulier. Dans le cas contraire, la scansion sera plus ou moins difficile, et le poème peut même sonner à l'oreille comme de la prose ou du vers libre, en dépit de sa forme très contrainte.
Le poème Sans appel est le premier sosnet jamais composé. Son thème est librement inspiré de la tragédie du Titanic, l'un des premiers navires à avoir envoyé un SOS, lors de son naufrage en 1912. Après l'envoi de ce poème à la liste Oulipo, d'autres membres de la liste ont également composé des sosnets, notamment pour les Avatars de Nerval et pour Zazie mode d'emploi.
Nicolas Graner, 2016, Licence Art Libre