Si ce n'est pas encore fait, lisez « Les trois ours » avant de lire la suite de cette page.
Deux occurrences d'une même lettre doivent être séparées par au moins N autres lettres. N varie de 0 à 7 dans le premier texte, de 3 à 4 dans le second.
La contrainte respectée par ces textes pourrait s'appeler : « qui se ressemble, s'évite ». Elle impose que deux occurrences successives de la même lettre soient toujours séparées par un nombre minimum d'autres lettres.
Dans le premier texte, les trois ours, inspiré du conte bien connu Boucle d'Or et les trois ours, l'écart minimum entre deux lettres augmente d'une phrase à l'autre :
... et ainsi de suite. Dans la dernière phrase, où l'écart imposé est de 7, on peut vérifier par exemple que les trois E de « écumant les chambres » sont séparés à chaque fois par sept lettres, les deux C par huit lettres, les deux M par neuf, etc.
Une particularité de cette contrainte est qu'en faisant varier la valeur de l'écart minimum on peut faire varier la « dureté » de la contrainte de façon progressive et facilement quantifiable, ce qui n'est généralement pas le cas des contraintes oulipiennes. Satisfaire cette contrainte dans un texte assez long demande un certain effort à partir de 2, et peut être considéré comme très difficile au-delà de 5.
Le cas extrême où l'on impose un écart supérieur à 26 implique que l'on ne peut utiliser aucune lettre plus d'une fois. Le plus long texte de ce type que l'on puisse écrire est un hétéropangramme.
La valeur la plus intéressante de l'écart minimum est celle qui engendre une contrainte suffisamment rigide pour être stimulante tout en offrant suffisamment de liberté à l'expression littéraire. L'expérience des trois ours suggère que cette valeur se situe aux alentours de 3 ou 4.
Le deuxième texte, Rapprochements, a pour but de le vérifier. Il reprend l'anecdote que Raymond Queneau raconte de 99 façons différentes dans ses Exercices de Style, en s'imposant un écart minimum de 3 dans le premier paragraphe et de 4 dans le second. On notera en particulier que les protagonistes ont dû contourner la gare Saint-Lazare pour se rendre rue d'Amsterdam au lieu de la cour de Rome du texte original, dont les R et les E sont trop rapprochés.
Nicolas Graner, 1998, Licence Art Libre